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Tels étaient les accusateurs de Dietrich, la sottise et la vilenie de leurs propos !

Dietrich répondit à ce misérable fatras dirigé contre lui par un mémoire détaillé, très éloquent et très persuasif. Il le compléta par un discours émouvant devant le jury de Besançon, le 7 mars 1793. S’il n’avait considéré que le caractère misérable et lâche de ses persécuteurs, il se serait borné au silence du dédain et n’aurait opposé aux calomnies que les registres de ses actes administratifs. Ceux-ci auraient répondu de sa conduite et il aurait pu attendre simplement ainsi le jugement qui devait confondre ses ennemis. Mais dans un pays d’opinion où chacun était jugé par ses concitoyens, il ne lui suffisait pas de l’absolution de sa propre conscience. D’ailleurs, la réputation de Strasbourg était liée à sa cause, puisque c’était elle qu’on cherchait à flétrir en sa personne. Ayant présidé à ses délibérations et exécuté ses arrêtés, il se croyait obligé de faire le tableau exact de ses services. Enfin, dans un temps où la confiance publique avait peine à distinguer la vertu du crime, il avait jugé digne d’un patriote de faire connaître la différence entre ces éternels dénonciateurs de faux complots et un homme de bien au-dessus de tout soupçon. Si l’on en croyait ceux-ci et ceux-là, les exaltés de gauche et de droite, il aurait été à la fois jacobin et royaliste, despote et libéral, révolutionnaire et Feuillant. « Je ne suis ni l’un ni l’autre, concluait-il avec une juste fierté. Je suis et j’étais ce que je m’honorerai toujours d’être : un citoyen soumis aux lois, un magistrat esclave de ses devoirs, un ennemi de toute faction, de toute cabale, de tout parti, ne connaissant qu’une passion : celle du bien public, qu’une règle, la Constitution qu’il a juré de maintenir[1]. »

Par des preuves irréfutables, Dietrich démontrait son innocence et confondait ses accusateurs. Il dévoila la faiblesse de Roland qu’il citait à regret au tribunal de l’opinion, dans le moment où Roland lui-même offrait un nouvel exemple de l’instabilité de la faveur populaire et où il éprouvait l’ingratitude de ceux qu’il avait servis. Sa péroraison arracha des larmes

  1. De son côté, son beau-frère, le chancelier Ochs, écrivait au ministre de la Justice, le 6 février 1793, que Frédéric de Dietrich n’avait jamais émigré et que ses deux fils servaient sous les ordres de Custine avec l’ardent désir de se mesurer avec l’ennemi. Il émettait en même temps un doute absolu sur la sincérité républicaine de ceux qui accusaient Dietrich de manquer de patriotisme.