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enfin la Marseillaise. Naturellement, les enfants de Marseille ne protestèrent pas et Strasbourg fut privée d’une gloire qui lui revenait légitimement :


…Soudain, — oh ! que c’est loin l’Alsace,
Le violon nocturne et le blanc piano !
A Marseille, dans la ruelle Thibaneau
Qui sent le café noir, le goudron et l’orange,
Le chant prend un accent plus rauque et plus étrange :
Argenté par l’étoile, il se cuivre au soleil.
Pour ne pas trop rester à lui-même pareil, »
Un chant doit voyager comme fait la légende.


Et telle fut la légende du chant de guerre de l’armée du Rhin, inventé par un Franc-Comtois, chanté par un Alsacien, adopté et popularisé par des Marseillais !


Le 8 juin 1792, les enrôlés volontaires s’étaient pris de querelle avec un régiment suisse arrivé à Strasbourg, et Dietrich avait dû intervenir rigoureusement, avec l’aide du maréchal de Luckner, pour rétablir l’ordre. Les troubles avaient été si violents que Rouget de Lisle n’avait pas caché ses inquiétudes au maire, auquel il en écrivait le 12 juin. Des scènes regrettables avaient éclaté au club du Miroir où Dietrich avait fini par avoir gain de cause et Rouget de Lisle pensait qu’il viendrait à bout « de la canaille liguée contre lui. » Quelques jours, il lui mandait encore : « Un autre que moi vous féliciterait des marques d’estime et d’attachement que vous avez reçues de nos concitoyens dans ces dernières circonstances. Je ne vous féliciterai, moi, que lorsque, à force de peines, de soins, de périls peut-être, vous serez parvenu à démasquer les scélérats, auteurs de tous ces troubles qui nous agitent. Je ne tiendrais pas ce langage à un homme dont le caractère me serait moins connu. Mais il n’y a plus de milieu à garder avec ces hommes pervers. Il faut non plus les réduire a l’inaction et au silence, mais que le poids de leurs crimes retombe sur eux et les écrase, ou bien il vous écrasera vous-même et tous les bons citoyens ![1] »

Rouget de Lisle écrivait cela sous le coup de l’impression

  1. Louis Spach, — Dietrich, p. 72,