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sont-elles pas incompatibles. Une partie des troupes tchèques pourrait rester en Russie pour assurer la liaison entre les contingents alliés et les Russes de bonne volonté : le groupe de. Samara, de par sa position géographique, semble plus désigné que tout autre pour cette fonction. Les autres corps, ceux qui occupent les divers tronçons du Transsibérien, se retireraient peu à peu, au fur et, à mesure que l’expédition interalliée leur amènerait des remplaçants, et s’en viendraient chez nous, où ils feront, soyons-en sûrs, d’excellente besogne. Cette solution mixte ménagerait tous les intérêts et toutes les aspirations en présence. Jusqu’à ce qu’elle soit réalisée, il va sans dire que les Tchéco-Slovaques feront bonne garde autour du dépôt que la destinée a remis entre leurs mains, et dont ils ne se dessaisiront qu’au profit de l’Entente.

Celle-ci leur en marquera sa gratitude, car c’est pour elle qu’ils ont travaillé, pour elle seule. Ils se sont abstenus avec grand soin de s’inféoder à aucun des partis russes ; et, dans leur for intérieur, ils n’ont renié aucun des principes libéraux et démocratiques qui leur sont chers. Que Trotsky les ait dénoncés comme « traîtres à la cause de la Révolution, » cela prouve seulement qu’ils n’acceptent pas la tyrannie de Trotsky. Ce message retentissant et injurieux est à rapprocher de l’ordre du jour du vieux François-Joseph, qui, lui aussi, accusait de trahison des soldats tchèques, ceux du 28e de Prague, parce qu’ils avaient refusé de se battre contre leurs frères slaves. Il est naturel que les Tchèques soient qualifiés de « traîtres » par toutes les dictatures, par celle des bolcheviks comme par celle des Habsbourg, puisque, contre toutes, ils défendent la liberté. Ils sont en train de la sauver en Russie, et, par-là, méritent bien d’en jouir quelque jour en Bohème.


RENE PICHON.