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terrain, ses relations maritimes étaient bien précaires encore à la fin du XVIIIe siècle.

Même avec le continent si proche les moyens de transport « ont des plus rustiques, pour les gens comme pour les choses. Le docteur Smollet, qui nous conte ses traversées en 1777, se plaint aussi fort de Douvres et de Folkestone que de Boulogne et de Calais : le cutter qui l’amène en France est une maudite baraque où la cabine est si petite qu’un chien y tournerait avec peine ; les lits, qui rappellent les trous des catacombes où les corps étaient glissés les pieds en avant, sont si sales que seule une extrême nécessité peut forcer d’en user. Parti de Douvres à sept heures du soir, il est à trois heures du matin en vue de Boulogne ; mais le patron déclare que, le vent soufflant de terre, il ne peut entrer au port ; la vraie raison est que le capitaine, « généralement un assez sale coquin », veut surtout économiser 16 shillings de droits à payer.

Aussi Smollet donne-t-il aux voyageurs qui le liront le conseil pratique de « ne transborder sous aucun prétexte. Si l’on vous dit que la mer est basse ou que vous avez le vent dans la figure, répondez que vous attendrez la haute mer ou le vent favorable. » Pour lui, une fois embarqué dans le canot, il doit encore le quitter pour une barque française qui vient à leur rencontre par une mer houleuse à demi pleine d’eau. C’est un droit des marins de Boulogne, il faut en passer par-là. Des hommes et des femmes pieds nus transportent, à côté de lui et de sa famille, leurs bagages jusqu’à l’auberge’ éloignée de près d’un mille, où tous les lits sont occupés et où il reste deux heures dans une cuisine glacée, en compagnie d’un gentleman écossais qui attendait une occasion de passage. La douane française était de 5 pour 100 sur tout ce qu’on apportait de l’étranger, même le linge usagé. Pour deux douzaines de cuillers d’argent il paie 50 francs de droits. Quant à ses livres, ils sont arrêtés au bureau et envoyés à Amiens, à ses frais, afin d’être examinés par la chambre syndicale, pour le cas où ils porteraient quelque préjudice à l’Etat ou à la religion.

Au retour en Angleterre, même débarquement à Douvres, sur la plage, sous prétexte qu’on ne peut entrer dans le port ; exactions sur les passagers, combinées entre les marins et les gagneurs de pourboires qui portent séparément les moindres colis, l’un une boîte à perruques, l’autre un carton à chapeau,