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Sans doute ces douanes privées donnaient lieu à maintes exactions : accusés en 1367 de n’avoir pas acquitté le péage de Montboucher, deux âniers porteurs de fromages sont mis aux arrêts par le seigneur du lieu, sous un sapin, pendant une nuit et un jour, « malgré le froid et la pluie, » et condamnés à 80 francs d’amende… par erreur, car ils furent ensuite reconnus exempts. Les bateliers de Grenoble se plaignent que, lorsqu’ils déchargeaient du bois, les gardes du gouverneur en prennent une quantité à leur discrétion ; ils demandent, en 1613, que cet impôt, s’ils ne peuvent en être dispensés, soit du moins réglementé par le conseil de ville.

Colbert fît supprimer par ordonnance royale (1669) tous péages établis sans titres sur les rivières depuis un siècle et, pour ceux qui étaient antérieurs, prescrivit d’en justifier par titres au Conseil d’Etat. Là où n’existaient point de chaussées, bacs, écluses ou ponts à entretenir, aucun droit n’était excepte de l’abolition… en théorie du moins, puisque, vingt ans plus tard, dans la seule province de Dauphiné, il subsistait encore quatre-vingt-quatre péages. Tout au long du XVIIIe siècle, il n’y eut peut-être pas d’années, ni même de mois, où des arrêts du Conseil n’aient supprimé quelques péages « prétendus » sur des fleuves ou de grands chemins par des chapitres, des prieurés, des hospices, des communes, des seigneurs petits ou grands ; ces derniers, de taille à se défendre, ne capitulaient pas volontiers : deux arrêts successifs de 1735 dépossèdent le duc de Richelieu d’un péage par terre, à Coutras, et d’un autre sur la Dordogne, à Libourne ; mais un arrêt postérieur lui en maintient la tranquille possession.

Ce n’est pas que ces « travers » ou « coutumes, » comme on les nommait, fussent de bien gros revenu ; la matière imposable leur échappait peu à peu : les messagers en avaient été exemptés par ordonnance de 1712, puis les coches, les carrosses, la poste ; mais c’était néanmoins une gêne pour le trafic local. Par une contradiction singulière, l’Etat, en supprimant les péages des particuliers, les rétablissait parfois à son profit. Il subsistait d’ailleurs de capricieuses lignes de douanes, dont les principales zigzaguaient à travers le royaume, tandis que les moindres se contentaient de couper en deux ou trois tronçons le territoire de telle ou telle province : à leur passage du Haut dans le Bas-Comtat-Venaissin, les marchandises