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exprès, indépendante de la charge à lui confiée. C’étaient des manifestations de luxe, disparues de notre temps où elles seraient sans objet. Elles suppléaient à la « grande vitesse » inexistante, mais n’ont pas plus d’analogie avec un trafic organisé que n’en ont, par exemple, avec le tarif actuel des cercueils par chemin de fer, des cortèges funéraires qui rapatriaient processionnellement, parfois de fort loin jusqu’au tombeau familial, un cadavre princier : ainsi en coûta-t-il 160 000 francs pour ramener d’Italie à Thouars (Charente), escorté d’une foule de prêtres et de chevaliers, entre deux rangs de porteurs de torches eh cire, le corps de Louis de la Trémoïlle, tué à la bataille de Pavie (1525),

Lorsque, au contraire, 500 plumes de chapeau payent 56 francs de Paris à Nevers (1618), ou six fromages de Parmesan 26 francs de Milan à Bruxelles, nous voyons bien, et que les charretiers devaient sur le parcours avoir d’autres clients, et qu’ils en avaient cependant fort peu, puisqu’ils exigeaient pour de si faibles poids un pareil fret. Plus tard, lorsque des services réguliers fonctionnèrent, le port des petits colis fut moins fantaisiste : 20 francs pour une valise par le coche de Paris à Troyes, 1 fr. 30 pour une paire de souliers de Paris à Strasbourg ou 10 fr. 50 pour « deux belles truites » de Dieppe à Versailles (1760).

Encore n’était-ce que sur quelques grandes routes. Entre localités médiocrement éloignées mais qu’aucun passage périodique de voitures n’unissait entre elles, le prix demeure élevé et d’ailleurs très variable : de Vinsobres, bourg de Dauphiné, à Grenoble, le kilo paie tantôt 87 centimes pour des vêtements, tantôt 3 fr. 75 pour des truffes (1635), sans que la nature de la marchandise y fût pour rien, car, pour les mêmes objets, le port diminue ou augmente du simple au double à quelques années d’intervalle. La fixité des tarifs est un bienfait tout moderne ; avant la création des chemins de fer, quand la marchandise était abondante, l’outillage des transports devenant insuffisant, les prix s’élevaient brusquement au triple et au quadruple comme les frets sur l’Océan.

Les « colis postaux », malgré leur nombre d’environ 75 millions, et d’ailleurs tout le trafic dit de « grande vitesse », ne représentaient qu’une bien faible partie du mouvement des marchandises avant la guerre : sur nos voies ferrées 20 000 wagons