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malades et débiles. Ceux qui furent reconnus bons pour le service furent incorporés le 6 décembre 1914 au 9e régiment de grenadiers à Stagard (Poméranie) ; les autres envoyés chez eux en mars 1916, à l’exception de Célestin Becker, le père du jeune homme dont il a été question plus haut. Il travaille aux environs de Kreuzwald (province rhénane). Les libérés rentrèrent en partie à Dalheim, où ils se répartirent dans les trente à trente-cinq maisons, qu’ils habitent aujourd’hui encore, avec l’obligation de se présenter deux fois par semaine au bureau de la Kommandantur. Les autres cherchèrent un refuge auprès de parents ou d’amis dans les environs de Dalheim. Plusieurs personnes sont mortes dans la prison des Deux-Ponts[1].

Malgré que le Conseil de guerre de Deux-Ponts eût confirmé leur innocence, dès octobre 1914, la plupart des habitants de Dalheim, emmenés dans le Palatinat, ne furent donc remis en liberté qu’en mars 1916, après dix-neuf mois d’emprisonnement. À cette date, aucune indemnité n’avait encore été payée aux habitants du village dévasté, qui ne recevaient ni allocations, ni secours[2].

Les deux affaires de Bourtzwiller et de Dalheim illustrent admirablement les ordres donnés aux troupes allemandes par leurs chefs, lors de leur entrée en Lorraine et en Alsace, et dont j’ai parlé au début de cet article. Le feldwebel Barkentien, actuellement prisonnier de guerre à Castres, déclarait, à Forbach, à la 2e compagnie sanitaire du XXIe corps : « Au cas où vous entendrez un Lorrain parler français, pendez-le par les pieds pour qu’il crève lentement (dass er langsam krepiert). En

  1. François Bertaigne. maréchal ferrant, mort en octobre 1914, et plusieurs autres dont nous ignorons les noms.
  2. Joignons aux pièces précédentes relative à Bourtzwiller la déposition qu’on va lire, relative aux violences commises par les Allemands à Mulhouse, et qui figure nu même dossier :
    « Un serrurier de Mulhouse, rue… n°… avait été appelé chez le capitaine M… pour ouvrir une porte avec un passe-partout. Il s’y rendit en vélo avec son fils âgé de quatorze ans. Il fait de son retour le récit suivant : « A la lumière des lanternes de la porte d’entrée de l’hôpital… j’ai vu subitement des sentinelles allemandes qui tirèrent sur nous sans avertissement. Je retournai vers les postes de garde et leur dis que leurs sentinelles avaient tiré. Ils allèrent alors jusqu’à la prochaine sentinelle et lui déclarèrent que le serrurier venait de chez le capitaine M… et s’en retournait avec son fils et deux vélos… Ils revinrent et nous dirent d’avancer tranquillement et de nous faire reconnaître par le mot : Attdeutsch (vieil Allemand). Nous continuâmes dons notre route en criant : « Attdeutsch ! » Subitement, nous entendîmes : « Halle-là !… » Je répondis le mot. — Le poste dit : « Vous pouvez passer. » Mais à cinq pas, il nous mit en joue. Nous levâmes les bras. Les hommes du poste nous crièrent : « F… le camp ! Nom de D… » Nous enfourchâmes nos vélos et à cinquante pas, la sentinelle qui nous avait laissés passer tira sur nous… Près de la rue… nous avons été arrêtés par des soldats qui nous ont crié : « Wackes que vous êtes, il faut que vous appreniez que vous êtes des Allemands ! Maintenant que les Français sont partis, vous apprendrez à nous connaître, bande de cochons, de francs-tireurs. (Ihr Saubanden von francs-tireurs.) Vous êtes des espions de l’armée allemande. Nous écraserons sous notre tir votre repaire et nous vous ferons crever comme des rats. (Wir werden das Drecknest hinauf schiessen, und wie die Ratten müsst ihr verrecken ! ) »
    C’est en ces termes qu’après un demi-siècle de vie commune, d’authentiques Allemands parlent à ceux qu’ils entendent faire passer aux yeux du monde pour leurs frères reconquis.