Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette guerre laissera une empreinte ineffaçable sur le siècle, dont elle aura été le sanglant matin. Des hommes, peut-être clairvoyants, annoncent déjà qu’elle sera suivie chez les peuples, qui en sont les héros ou les simples spectateurs, de violentes agitations intestines et de longs conflits intérieurs. Une autre guerre éclatera, à les en croire, ébranlant la société humaine dans ses fondements : le duel, jusqu’à présent différé, du capital et du travail, du patronat et des salariés. Dans les appétits déchaînés par les hautes payes des usines militaires, dans les éléments anarchiques que ne contiendra plus le voisinage de l’ennemi, cet antagonisme puisera une intensité formidable. Les gouvernements, défenseurs de l’ordre, seront partout aux prises avec les armées révolutionnaires, qui se seront organisées à l’abri des armées nationales. Le rétablissement de la paix publique, après ces convulsions sociales, rendra nécessaire le maintien de la paix extérieure…

D’autres esprits, doués également du don de prophétie, forment des pronostics moins sombres, mais aboutissant à la même conclusion : de longtemps une nouvelle guerre ne sera plus possible. Leur thèse s’appuie sur le progrès certain des idées pacifiques. Autrefois, disent-ils, les apôtres du pacifisme n’étaient qu’un état-major d’intellectuels. Leur propagande ne dépassait pas les murs du Congrès, qui les réunissait chaque année, ni la salle du banquet, où ils célébraient substantiellement l’aurore de la paix universelle. Répandues par les mille voix de la presse, au lendemain des tueries, dans les masses populaires qui auront Versé leur sang à flots, comment ces idées ne s’imposeraient-elles pas aux gouvernements de l’avenir ? Le pacifisme était sans effet, tant qu’il restait le fruit de quelques intelligences supérieures ; lorsqu’il plongera ses racines dans les entrailles des nations, il aura une croissance irrésistible. Si un large courant pacifiste se développe, ainsi qu’on doit s’y attendre, chez les prolétaires de tous les pays, il emportera, comme des fétus de paille, les ambitions incorrigibles des partis militaires et nationalistes. Un désarmement général sera la conséquence de cette transformation de l’esprit public…

Mais le prolétaire de la Germanie, contenu par une discipline inébranlable, élevé dans l’idolâtrie de la force, excité par des instincts de violence, demeurera-t-il étranger au