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association universelle des peuples, belligérants ou neutres. Elle accueillerait dans son sein l’Allemagne, purifiée du militarisme prussien. On introduirait le loup dans la bergerie, après avoir pris la précaution de lui arracher les dents.

La Société des Nations aurait sa gendarmerie, capable de protéger les faibles contre les fantaisies des forts et qui veillerait sur l’indépendance ou l’autonomie des nationalités. Une cour suprême d’arbitrage serait créée, sorte de tribunal des Amphictyons, faisant comparaître à sa barre les perturbateurs du repos public et tranchant les différends pour les empêcher de dégénérer en conflits. Un code du droit des gens verrait le jour, élaboré par d’experts jurisconsultes et plus rigide que les conventions de la Haye, en vue de régler les devoirs réciproques des nations, ainsi que la procédure de l’arbitrage obligatoire.

Comme mesure de sûreté indispensable, la Société des Nations imposerait à ses membres un désarmement général. Mais un État complètement désarmé se peut-il concevoir ? Comment maintenir la tranquillité publique sans une force suffisante, quel que soit le nom rassurant dont on la pare ? Le désarmement se transformerait fatalement en limitation ou en réduction des armements comme du nombre des soldats. Voyez-vous un moyen équitable et pratique d’en établir le calcul, si ce n’est d’après le chiffre de la population de chaque État ? Une réduction proportionnelle sur cette base donnerait une incontestable supériorité numérique aux Empires centraux qui, en 1914, possédaient déjà une masse de 120 millions d’habitants, et même à l’Allemagne seule qui en avait près de 70. De là une tentation irrésistible pour elle, si le vieux levain batailleur et les appétits de domination persistent au fond de l’âme allemande, de se jeter à l’improviste sur des voisins trop confiants. La police internationale interviendrait aussitôt, me direz-vous ; mais serait-elle assez nombreuse, assez forte, pour prendre au collet et mettre à la raison le géant germanique ?

Une Société des Nations ne paraîtrait pas viable, sans une conversion sincère de nos ennemis à la religion de la paix. Il faudrait que l’Allemagne renversât elle-même l’autel où elle a sacrifié depuis cinquante ans ; qu’elle reniât le culte de la guerre, qu’ont célébré à l’envi ses princes, ses hommes d’État, ses historiens civils et militaires. Pour se résigner à cette