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engouement à vrai dire psychologiquement inexplicable pour tous les styles éclos avant la Révolution, à l’exclusion de ceux qui apparurent après elle, une sorte d’amende honorable, de remords inconscient, peut-être, provoqué par la vague intuition de tout ce que, dans cette grande convulsion sociale, la France a saccagé, profané et détruit de merveilles, de raretés et de richesses ? Ne serait-ce point, non des bibelots, mais des reliques que nous tentons de recueillir, et ces épaves, ne les recherchons-nous pas avec tant de piété parce qu’elles nous parlent à l’esprit et aux yeux d’un temps que notre atavique bon sens, — malgré les calomnies et les dénigrements systématiques, — nous montre grand, glorieux et purement français ? Ce dont sont friands les touristes d’aujourd’hui, c’est d’anciennes villes à rues étroites, à pignons penchés, à toits de tuiles, de masures à pans de bois nichées entre les contreforts d’une vieille église, de tours lézardées, de remparts embroussaillés, de tout le tohu-bohu croulant de jadis. Il se dégage de ces choses une mélancolie qui ressemble à un repentir. Avant 1789, les Français ignoraient cette impression ; ils aimaient tout ce qui datait de leur temps et se conformait à leur mode : un philosophe morose en pourrait conclure qu’ils avaient la sécurité du présent, la confiance en l’avenir, tandis que nous nous cramponnons désespérément au passé.

Toujours est-il que l’on peut citer maint exemple de leur insensibilité archéologique. Blois, qui nous ravit, parait, à un touriste de 1782, être « une ville vieille, mal bâtie, sans commerce, n’offrant rien d’intéressant. Le fameux château est dans le goût gothique et les décorations de l’intérieur sont du même style que l’architecture du dehors[1]. » Notre-Dame de Paris ne mérite pas une description, même sommaire : « Le portique est décoré par des colonnes à différents étages qui s’élèvent très haut : le corps de l’église est très leste en dedans… » — A la cathédrale de Chartres, ce qui frappe davantage le visiteur, c’est que « dans l’église et au milieu est un rond figuré sur lequel marchant on fait une lieue[2], » et à celle de Tours « une horloge d’un travail très compliqué… quand l’heure sonne, une cavalerie vient faire un tour et deux anges frappent sur le timbre[3]. » En revanche, le voyageur s’étend, avec

  1. Voyage à Paris en 1789, p. 44.
  2. Idem, p. 12.
  3. Idem, p. 47.