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le langage du petit peuple, à la Royale signifie bon, excellent, excellentissime, parce que nul n’imagine et ne suppose que le médiocre, en quelque genre que ce soit, puisse avoir la témérité d’approcher de la Cour. « On dit Bœuf à la Royale, gâteaux à la Royale, décrotteur à la Royale, entendant par-là que telle est la marque suprême, la perfection en tout genre et que rien ne peut être supérieur »[1].

On comprend comment il n’est pas un Français dont le rêve ne soit d’approcher, au moins une fois en sa vie, le monarque chéri auquel le pays doit son bonheur et sa gloire et de connaître le palais fabuleux où vit Sa Majesté. Les Parisiens ne s’éloignent pas volontiers de leur ville : c’est parce qu’ils sont en camaraderie avec leur souverain. Ils vont fréquemment à Versailles ; ils auraient beau parcourir toute la terre, ils ne verraient rien de comparable à ce qu’ils ont là ; rien qui parle davantage à leur sensibilité, à leur goût, à leur orgueil de bons Français. C’est pourquoi les provinciaux qui entreprennent le voyage de Paris placent tous au premier rang des attractions dont ils sont friands, une visite au Château royal et plus encore l’espoir de considérer à loisir le souverain et sa famille. Je crois qu’on chercherait en vain un mémento de voyageur, — à quelque rang qu’appartienne son auteur, — où ne soit consigné comme l’obligation la plus pressante, le désir de contempler ce roi qu’on n’abordera pas, auquel, certes, on n’adressera pas la parole, mais dont on emportera pieusement l’image au cœur, comme celle d’un parent auguste auquel mille liens attachent et dont l’aspect seul est une cause de fierté et de joie.


Nous avons laissé M. de Kerpoisson, M. de Rouaud et leurs compagnes au relais de Trappes, à la porte du grand parc de Versailles. Ils sont bien fatigués, cahotés depuis quatorze jours, désireux d’entrer dans Paris où ils comptent se reposer enfin. Mais on leur annonce que le Roi va passer, allant à Saint-Hubert, rendez-vous de la chasse du jour. Aussitôt tout est oublié : « Le désir de voir ce monarque, le premier de l’Europe et notre souverain bienfaisant, nous arrêta jusqu’à onze heures… » Le Roi ne parait pas ; les voyageurs se décident à

  1. Tableau de Paris, CCCCVI.