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essayé de faire front sur les plateaux découverts et les coteaux boisés du Tardenois, en avant de cette ligne de la Vesle sur laquelle il avait semblé un instant qu’il se préparât à se retirer. Était-ce la vraie position où il voulait, d’une résolution définitive, accrocher sa résistance, pour en repartir à l’occasion, ou ne faisait-il qu’esquisser une feinte qui lui permettrait, sous la protection d’arrière-gardes résignées au sacrifice, de sauver la plus grosse partie de ses effectifs et de son matériel, de ses hommes et de ses approvisionnements? Les critiques militaires en ont savamment disputé; mais l’événement a rendu la question oiseuse. Quoi qu’il en soit, ou qu’il en ait été, il n’y avait plus seulement la volonté de l’ennemi ; désormais il y avait la nôtre.

Les résultats sont magnifiques. En une quinzaine, du 15 au 31 juillet, nous avons fait 35 000 prisonniers, capturé 700 canons, enlevé ou détruit des convois entiers, d’énormes dépôts de munitions et de vivres, obligé d’en détruire de plus considérables encore ; de toutes parts s’est élevée la flamme des incendies qui dévoraient de la puissance allemande, mêlée souvent, hélas! à de la richesse française, et si l’ennemi a brûlé nos forêts et nos moissons avec ses armes et ses équipements, que ces bois et ces blés sacrés aient été ainsi comme le bûcher de l’abominable Allemagne, nous y trouvons une sorte d’amère consolation. Nous avons Libéré de l’invasion quelques-unes de nos villes, deux cents de nos villages, regagné, dans la sueur et dans le sang, des lieues carrées de notre pays, reconstitué un morceau de la patrie. Nos communications directes avec nos armées de l’Est, par la voie ferrée Dormans, Épernay, Châlons, ont été rétablies. Reims, demeuré inviolable, respire un peu moins mal. Nous sommes rentrés dans Soissons et dans Château-Thierry. Nous sommes sur la Vesle et sur l’Aisne. L’Etat-major impérial allègue volontiers, quand il recule, que le lieu où l’on diminue l’adversaire importe peu; que ce qui importe, c’est de le diminuer. Nous n’avons pas de peine, en cette circonstance, à nous ranger à son avis. Pourtant, il y a des lieux qui nous importent, et même ils nous importent tous, parce qu’ils sont chez nous. Lorsqu’on regarde plus loin que le champ immédiat du combat, Paris est sensiblement dégagé; la menace qui pesait sur lui s’est, de ce côté, éloignée d’une trentaine de kilomètres ; une des boucles de la ceinture hérissée de baïonnettes a sauté. A l’autre maintenant, du côté d’Amiens.

Ce n’est certes pas le comble de nos espérances, mais c’est beaucoup, et c’est très beau. Ne rêvons pas trop tard à ce qui aurait pu