Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/942

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus à la guerre qu’ailleurs, de panacée universelle. Dans l’attaque et dans la défense, les armes ont des rôles multiples à remplir, et c’est pourquoi une seule ne saurait suffire à tous, ou du moins les remplir tous également bien. La spécialisation, l’adaptation des organes aux fonctions est ce qui crée la variation des espèces et leur différenciation. On ne saurait bien faire la guerre sans suivre les exemples que nous donne la nature ; on perd toujours à s’insurger contre ses enseignements. Et c’est pourquoi, si parfait que fût le 75, on a eu tort de vouloir en faire un engin « omnibus » apte à la fois à la destruction du personnel et du matériel, au tir tendu et courbe, à brève et longue portée ; cela a été cause en partie que nous étions démunis d’artillerie lourde et d’engins de tranchée au début de la guerre. Pareille erreur a failli être commise dans le domaine de l’aviation, et la poursuite de ce mythe : l’avion propre à la fois au bombardement, à la chasse, à la reconnaissance, a retardé longtemps notre supériorité aérienne. Si j’insiste sur ces souvenirs, c’est précisément pour mettre d’abord en garde contre une exagération les protagonistes enthousiastes du canon d’accompagnement : croire comme ils le font que cet engin, si réelles que soient ses qualités, puisse suffire à tout, remplacer en particulier toute artillerie lourde, c’est retomber dans un errement déplorable. La guerre est une équation à plusieurs inconnues qui admet des « racines » ou, comme on dit vulgairement, des solutions multiples. Ce qui importe surtout, — tous ceux qui ont mordu un peu au biberon mathématique me comprendront, — c’est d’écarter les « solutions imaginaires. »

Dès que, à la fin de 1914, la lutte se fut cristallisée en guerre de tranchées, on se proposa de part et d’autre le problème de la destruction de la tranchée et de ses défenses accessoires. Cette destruction était le préliminaire indispensable de toute opération offensive. A cet effet, on développa les canons lourds et en même temps on vit apparaître, à l’imitation des Allemands, des engins périmés, anciens mortiers, petits obusiers, qui lançaient de tranchée à tranchée des projectiles très chargés en explosifs et auxquels vinrent s’ajouter bientôt des engins nouveaux et notamment le 58 de tranchée et ses succédanés plus gros qui ont rendu de bons services.

Malgré tout, on n’allait pas assez vite dans cette voie et on persistait à vouloir assurer la destruction de la tranchée par l’artillerie lourde proprement dite. Archer a eu le mérite de s’élever avec un vigoureux bon sens contre cette conception bâtarde. Il était clair en effet, — bien que ce n’ait point été admis sans grandes conteste et