Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publique ou privée, nous était commune. Avec quelle poésie, quelle éloquence, il nous exprimait sa compassion ou nous remerciait de la nôtre ! Un jour, il maudissait l’outrage infligé par les inondations au « sol sacré de la France. » Une autre fois, après le tremblement de terre de Sicile, il répondait à nos condoléances :

« Ta douleur, ta pitié, je les savais avant que tu parles, Messine, Messine ! T’en souviens-tu ? C’était comme une tapisserie tendue pour une fête éternelle sur le rivage de la mer. »


La guerre enfin, dont la veille, ou peu s’en faut, devait être le dernier jour où je le vis, la guerre acheva de le faire nôtre. Alors vraiment son vœu d’amour s’accomplit, et jusqu’à la fin il tint la France entière entre ses bras et sur son cœur :


25 août 1914.

« Depuis le jour où nous nous sommes quittés, le monde est en flammes. Combien durera l’incendie ? Tout mon vieux cœur pour la France ! Je n’ai plus qu’un seul cri dans l’âme : Dieu sauve la France ! A tes fils, qui combattent avec leurs frères de France, de Russie, d’Angleterre, je souhaite bonne chance. Bonne chance à celui qui lance la foudre du haut du ciel, à ceux qui la lancent sur la terre. Victoire à la France, à la Civilisation, à l’Art, à la Justice, à la Liberté, à l’Humanité. »

Quelques lignes plus bas, pleurant avec nous la mort du pape Pie X, il ajoutait :

« La plus blanche de toutes les âmes a fui ce monde d’horreur et de sang. »


Novembre 1914.

« A toute heure du jour, et la nuit, quand l’insomnie me tourmente, je pense à la tragédie qui inonde la terre. Je pense à la France, tienne et mienne aussi. Je maudis l’infâme assassin de millions d’hommes, qui, l’ayant préparée depuis trente ans, a déchaîné cette guerre. Avec Caïn et Judas, il est le grand criminel de l’humanité et, pour comble d’ironie ou de stupide inconscience, il se croit un envoyé de Dieu. France, Belgique, Angleterre, Russie, en avant !… Je t’écris peu : la plume ne trouve pas les mots. Les yeux et les lèvres seuls pourraient parler. Il ne me vient que ce cri : Vive la France, bonne, forte,