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d’adolescent. Ne le lisez pas, cela n’en vaut pas la peine, mais gardez-le en souvenir de moi. »


Il nous avait pour ainsi dire arraché la promesse, non seulement de ne pas parler et encore moins écrire de son Mefistofele, qu’il désavouait, mais de ne pas même aller l’entendre. Un jour que, malgré sa défense, nous nous étions permis d’en louer les premières pages (le Prologue dans le Ciel), il nous écrivait :


« Je suis très heureux de ne pas vous avoir trop déplu avec ma vieille guitare. Mais la psalmodie des femmes mérite toute votre réprobation. C’est sec, creux, grimaçant et banal. Je voudrais pouvoir redresser ce fragment, mais l’ensemble de la composition n’est plus d’âge à supporter une opération orthopédique. »


Son Nerone même, son œuvre maîtresse, à la fois redoutée et chérie, il s’étonnait, s’excusait presque de l’avoir entreprise et de la reprendre sans cesse :


« Figurez-vous que je travaille beaucoup, et, — stupeur ! ou bien stupidité ! — je travaille pour mon compte et de mon cru. Il aurait mieux valu continuer la greffe Shakespeare-Verdi. »


Heureuse greffe, qui donna ces fruits savoureux : Otello et Falstaff, deux œuvres admirables de poésie, avant de l’être, plus encore, de musique. A deux reprises, avec le même talent, le même respect, le même amour, Boito traduisit Shakespeare pour Verdi. Musicien-poète, il se fit l’intermédiaire, et rien de plus, entre le poète et le musicien plus grands que lui. Il est vrai que s’inspirer de Shakespeare pour inspirer Verdi, n’était pas un médiocre honneur. Honneur moral, car tant de modestie et de renoncement est vertu peu commune ; honneur esthétique même, peu de créations personnelles étant plus enviables qu’une si belle entremise. Aussi, doublement reconnaissante, la postérité ne séparera pas le maître et le serviteur Elle n’oubliera pas que, sans Arrigo Boito, l’Otello et le Falstaff de Verdi, non seulement ne seraient pas ce qu’ils sont, mais n’auraient jamais été. Cette poésie fut la conseillère, que dis-je ! la cause de cette musique, avant d’en être la compagne et la parure. Deux fois encore, après que Verdi s’était promis de se taire, Boito, comme il l’a dit lui-même, fit « résonner le colosse