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stagione, et Rome, et les fleurs de la Piazza di Spagna, et la Sixtine, et moi. »


Quelquefois, selon sa promesse, il se plaçait sur notre chemin. Nous le trouvions à Gênes, dans l’hôtel délicieux qu’était devenue, aux portes de la ville, une vieille villa toute rose, cachée et comme endormie sous les palmiers, les magnolias et les lauriers en fleurs. Le matin, nous allions saluer les nobles Van Dyck du Palazzo Brignole. De loin, nous donnions un regard au Palazzo Doria, dont Verdi, chaque hiver, avait coutume d’être l’hôte. Une autre fois, c’est Verdi lui-même qui nous réunissait, aux champs, en sa villa de Sant’Agata, et faisait de nous, pendant quelques jours d’été, les témoins de sa vieillesse patriarcale et les familiers de son âme, au moins égale à son génie. Heures inoubliables, de celles qu’on voudrait, comme disait Alphonse Daudet, fixer avec des épingles d’or.

Mais le plus souvent Milan était la première halte de nos pèlerinages italiens. Notre ami ne manquait pas de nous y promettre un accueil dont la réalité manquait encore moins de surpasser la promesse. D’avance il aimait à nous soumettre le programme de notre revoir, de nos causeries et de nos promenades, même de nos repas, qu’il ordonnait avec les recherches d’un gourmet et le luxe d’un grand seigneur. Le menu, par nous conservé, d’un de ces festins en tête-à-tête, ne comprend pas moins d’une dizaine d’articles, avec ce post-scriptum à la Musset :

« Au cas où Madonna serait du voyage, du Champagne, des fleurs, des sorbets et des bonbons à la vanille. »


Le soir, on soupait au clair de lune, sur la terrasse d’un restaurant voisin de la Scala. Et puis, toute une matinée, il nous accompagnait, ou plutôt il nous guidait parmi les chefs-d’œuvre de l’exquise galerie Poldi-Pezzoli ou du musée Brera. Devant les mystérieux sourires de Léonard, il évoquait, pour l’en trouver plus belle, certaine mélodie, étrange aussi, de la Dalila de Hændel. « Ainsi, disait-il, le hasard d’une analogie accroît la valeur d’une œuvre d’art. » Et nous, en écoutant ses gloses éloquentes, nous souscrivions à l’une de ses maximes préférées : « Savoir comprendre, savoir aimer, savoir exprimer, voilà les grandes joies de l’esprit humain. »