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d’art, publiques et privées, qui seraient susceptibles d’être atteintes par les bombardements français ou anglais. Des spécialistes, conservateurs de musées, « officiers historiens d’art, » architectes, maçons et ouvriers compétents ont été envoyés pour procéder avec tout le soin possible au déplacement, à l’expédition ou à la préservation de ces œuvres. Et comme il s’agissait de donner au monde « un aperçu de la richesse artistique du territoire français et de l’étendue de l’œuvre de sauvetage allemande, » on a chargé de cette tâche un certain Theodor Dimmler, dont les pages intitulées Asiles d’art ont été publiées dans l’Almanach illustré de la Gazette des Ardennes pour 1918[1]. Il va sans dire que les jolies reproductions photographiques qui accompagnent la prose de l’ingénieux écrivain allemand en sont le plus bel ornement ; mais cette prose elle-même ne manque pas d’une certaine saveur.

Évidemment, l’objet essentiel du savant Theodor Dimmler est d’attirer la reconnaissance universelle aux « mains charitables qui ont emmené les œuvres d’art françaises, de leur ancienne demeure trop exposée, vers des asiles plus sûrs. » Il veut « rendre témoignage de la bonne volonté de l’armée allemande d’arracher, autant que possible, les monuments irremplaçables aux griffes du génie destructeur de la guerre. » Et il énumère sans se lasser les difficultés sans nombre d’une pareille entreprise. Il nous apprend que les plus belles œuvres du sculpteur Ligier-Richer ont été transportées d’Etain, d’Hattonchatel, de Saint-Mihiel à Metz. Diverses statues de la région de Reims ont été hospitalisées à Charleville. Pendant la bataille de la Somme, c’est à Saint Quentin qu’on envoya les œuvres de la région de Péronne. Et quand Saint-Quentin fut bombardé à son tour, c’est Maubeuge qui servit de refuge aux œuvres chassées de Saint-Quentin, — en attendant sans doute un troisième, et dernier déménagement. Un ancien bazar les accueillit, qui semblait peu se prêter à pareille destination. « Mais, en un tour de main, un architecte habile, le lieutenant Keller, le métamorphosa à ne plus le reconnaître ; il en fit une série de pièces intimes, cadre coquet pour les délicieux pastels de La Tour. » Après la guerre, « le bazar redeviendra bazar. Et de toute cette splendeur, il ne restera qu’un catalogue

  1. Almanach illustré de la Gazette des Ardennes pour 1918, à la Gazette des Ardennes, Charleville, in-8o ; 1918.