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C’est la chanson, qui s’amuse à de telles méchancetés. Mais la chanson tourne à la prophétie, quand elle annonce que le mari « ira vivre en sa terre, — comme monsieur son père » et que la femme fera « des romans à Paris, — avec les beaux esprits. » C’est bien cela qu’il advint.

Ce comte François de La Fayette, je ne sais pas s’il est beau ; mais il n’est pas fort jeune : il a passé la quarantaine. Il n’est pas très intelligent : il n’a seulement pas de vivacité mondaine. Mlle de La Vergue, ennemie déclarée de l’amour, ne fait pas un mariage d’amour. Elle épouse volontiers ce garçon, qui est de très noble famille et qui, après avoir servi en Hollande, a été enseigne de la compagnie’ du maréchal d’Albret, puis lieutenant des gardes françaises. Un bon garçon, d’ailleurs : et elle ne demande pas davantage. Peut-être les fantaisies frondeuses de son beau-père, qui l’ont écartée de la cour, l’engagent-elles à n’être pas ambitieuse. Elle a vingt et un ans : et la plupart de ses compagnes sont mariées. Elle fait un mariage raisonnable, sinon un mariage de raison. Il faudra vivre à la campagne ? Ce n’est pas pour lui déplaire infiniment, après qu’elle a vu que l’exil de Champiré, pendant deux ans, ne lui était pas intolérable. En outre, La Fayette, doux et honnête, a, je suppose, dans son air et dans ses habitudes, quelque chose de reposé qui lui promet le calme dont l’avaient privée les agitations de son beau-père et de sa mère. Il n’est pas frondeur : elle non plus. A-t-elle aussi quelque arrière-pensée de ce que la chanson fait prévoir et, fût-ce un peu vaguement, compte-t-elle sur la commodité que donne un mari débonnaire ? A-t-elle déjà quelque souci de l’arrangement qui sera le sien, la vie à Paris, tandis que le mari demeure aux champs ? C’est possible. Dans ce mariage, il paraît bien qu’elle ne cède pas à une impulsion de son cœur ; à des calculs ? c’est trop dire ; mais à des intentions toutes pleines de discernement, c’est probable.

Et qui a fait le mariage ? J’en attribue l’idée et la réussite à la Mère Louise-Angélique de la Visitation. Mme de La Fayette, au commencement de la Vie de Madame Henriette, résume, — et, du reste, un peu inexactement, — l’histoire de la religieuse ; et elle ajoute : « J’épousai son frère. Quelques années devant le mariage, et comme j’allais souvent dans son couvent…[1] »

  1. Ce n’est pas le texte des éditions ; mais c’est le texte véritable.