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ne rit pas ; alors Mme de Lesdiguières ne rit plus et, attentivement, dit ce qu’elle sait : pour peu que Mlle du Lude veuille avoir de la complaisance, elle sera fort heureuse avec M. de Roquelaure. Se moque-t-elle ? se venge-t-elle ? et aux dépens de qui n’est point coupable ? Non ! Elle dit posément la vérité, que d’autres n’auraient pas devinée : Roquelaure épousa Mlle du Lude et fut un bon mari pendant quatre ans que vécut la duchesse de Roquelaure. Retz avait été amoureux et, dit-on, l’amant de Mme de Lesdiguières, en sa jeunesse. Quand il trouve à son goût cette petite de La Vergne, en 1654, ce qui l’amuse, le touche et l’anime, c’est d’apercevoir sur un visage de vingt ans l’air qui autrefois lui rendait agréable un autre visage. Seulement, ni Bussy ni Tallemant plus que Retz n’ont peint ou même esquissé l’air de Mme de Lesdiguières. Tallemant dit qu’elle était « bien faite » et « ne manquait pas d’esprit. » Ce n’est rien dire. Et l’air de Mme de Lesdiguières est perdu.

Mme de La Fayette, quand la maladie l’a toute émaciée, rappelle à Ménage qu’elle avait, à l’époque où Ménage l’aimait N le plus, lors du séjour à Champiré, lors de l’étape vers Montfort, presque un peu trop d’embonpoint. Je me la figure une jeune fille assez tôt formée de corps ainsi que d’intelligence et d’esprit mondain. Grande, à ce qu’il parait, puisqu’au Pays de Braquerie elle est une « grande ville. » Et faut-il tenir compte du galant badinage de Costar, qui prétend qu’on reproche à Mlle de La Vergne sa bouche trop petite ? C’est un compliment déguisé : probablement avait-elle la bouche petite. Ses portraits, qui ne valent rien, s’accordent pourtant à lui dessiner le nez de quelque longueur. Et, puisqu’elle était si jolie, elle n’avait pas le nez trop long ; mais elle n’avait pas un minois : j’entrevois un visage aux traits espacés, réguliers, beaux, sans l’une de ces singularités que notent les caricatures et les madrigaux.

On ose à peine utiliser les éloges que Ménage lui adresse en vers latins, français et italiens. Il y a là de la galanterie. Cependant, la galanterie, même emphatique, ne dit pas le contraire de la vérité ; elle ne dit que des riens, ou elle exagère la vérité plus modeste : elle ne commet pas l’impertinence de l’antiphrase. Je crois que Mlle de la Vergne avait de beaux yeux, puisque Ménage vante « ses beaux yeux plus brillants que le jour, » se déclare si content « de l’éclat immortel de ses divins regards » et assure que « les moindres traits qui partent de ses