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Mlle de La Vergne à dix-neuf ans, si prompte à l’entrain, si animée de jeunesse heureuse que l’exil ne l’attriste pas. Elle a quitté Paris et la cour avec facilité : elle porte avec elle sa gaieté, son plaisir. Comme on la connaît plutôt à l’âge de ses mélancolies et de sa méditation retirée, l’on aime à la trouver ici très jeune fille, avec une gracieuse allégresse et tant de zèle à vivre. Elle sera plus mondaine : elle aura un plus grand besoin de la diversion que procure la frivolité apparente, lorsqu’elle sera triste. Elle est gaie et, pour ainsi parler, n’a besoin de personne. D’ailleurs, sa retraite de Champiré n’est pas le « désert » où Alceste aurait voulu emmener Célimène : et Célimène l’eût appelée un « désert » cependant, Célimène qui n’a aucune compagnie d’elle-même. Mlle de La Vergne, en dépit de quelque entourage parisien, c’est pourtant une demi-solitude qu’elle accepte : et Costar loue à bon droit cette jeune raison que la cour n’a point enchantée. Un trait de son caractère aussi est sa curiosité de la littérature. Elle écrit aux beaux esprits : témoin Costar. Elle leur écrit même un peu étourdiment et avec une vivacité qui cessera d’être sa manière : elle, si réservée, prudente et plus attentive que soudaine. L’appelait-on l’Incomparable ? Je n’en sais rien. Mais il semble qu’elle eût, dès l’adolescence, une certaine renommée de fille savante.

Son bel esprit de prédilection, le plus fidèle, — et qui lui en amenait d’autres, — ce fut Ménage. Or, Ménage a du loisir. Il a quitté le service du cardinal de Retz et, notons-le, plus de deux mois avant l’arrestation du cardinal ; on ne saurait l’accuser d’avoir abandonné la disgrâce et le malheur : il n’est point vil. Mais il était orgueilleux, il était susceptible. La situation qu’il avait chez le cardinal ne lui donnait pas toute satisfaction d’amour-propre. Il voulait sa liberté, ne fût-ce que pour travailler à sa guise : il s’en alla, quand il le put. Et il ne devint pas un ennemi ou seulement un adversaire du cardinal. Bref, il n’est point un politique ou, à tout le moins, comme d’autres, un homme de parti. Les désordres de l’État le gênent. Il n’approuve pas l’agitation du cardinal : agitation qui rend sa maison peu quiète et souvent menacée par les créanciers ; agitation qui se répand jusqu’au dehors et a l’inconvénient de troubler le royaume. Il est de ceux qui déploraient la Fronde et lui reprochaient la perte de leur tranquillité. Mais il avait quitté le cardinal depuis deux ans, lorsque au mois d’octobre 1654,