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bataille dans le Nord, si ; entre l’Oise et la mer, essayant de se déborder l’une l’autre, les deux armées en venaient derechef aux mains. L’armée Castelnau s’engageait déjà en d’âpres combats sur la Somme ; l’incendie allait gonfler l’Artois ; il atteindrait en Flandre, de la Lys à la mer, sa plus grande violence. Il fallait prévoir cette bataille d’un mois et, sur loué les fronts où l’offensive paraissait paralysée ; s’enterrer, se fortifier, se stabiliser, sauf, où nécessité serait, à rectifier auparavant un front trop aléatoire par des attaques locales.

Sur le front des trois armées de l’Aisne, on ne pouvait cependant rompre brusquement le combat. Ces armées, qui de l’Oise à la Champagne venaient de traverser de si rudes combats, devaient, avant de s’enterrer, recevoir une dernière, mission, toute d’abnégation. L’ennemi, pour nous déborder, essayait d’enlever du front de l’Aisne des forces importantes : un glissement était constaté des Allemands vers l’Ouest. Il fallait, par une série d’offensives intermittentes et d’attaques partielles, laisser suspendue sur sa tête la menace d’une reprise de bataillé et, eh le menaçant, « fixer l’ennemi. »

Ce fut donc une offensive d’un caractère tout nouveau, qui du 22 au 25, fut ordonnée aux armées de l’Aisne : « Renoncer à des attaques générales qui usent les troupes sans résultat sérieux, procéder par attaques locales exécutées on accumulant les moyens d’diction sur les points choisis : » telle fut la consigné » L’ennemi devait opposer à ces attaques une opiniâtre résistance. Sans doute, lui aussi, devait renoncer, de son côté, aux grands espoirs. Lorsque, le 14, on avait vu, après une retraite assez précipitée, les Allemands reparaître dans les villages du plateau septentrional, à Bouconville, Chermizy, Chamouille, Chevrigny, ils affichaient hautement l’intention de reprendre la marche sur Paris. Et tout n’était pas désir d’en imposer dans ces propos[1]. Les plateaux de l’Aisne pouvaient être le tremplin, d’où solidement installés, et reconstitués, les Allemands

  1. L’abbé Ambroise, curé de Chermizy, revenu après deux ans de captivité en Allemagne, nie contait qu’il hospitalisait un général de brigade allemand, le général Von G. qui, le 14, annonça qu’il ne resterait qu’un jour, la marche sur Paris allant reprendre. Chaque soir, du 14 au 21, il fit la même déclaration. Le 22, l’abbé Ambroise, ne voyant point se produire la déclaration quotidienne, dit, non sans malice, à son hôte forcé : « Partez-vous demain, général ? » — ce qui lui attira un regard inquiétant. En fait, le général resta des mois — en secteur — et quand il partit, ce ne fut certainement pas « pour Paris. »