Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclatante depuis qu’amenées sous des positions que notre artillerie de campagne ne pouvait que difficilement battre, nos troupes essuyaient, pour la première fois, d’une façon continue et intense, le feu de l’énorme artillerie lourde. Plusieurs fois déjà, les chefs avaient, devant un admirable assaut d’infanterie, littéralement étouffé ou brisé par le feu des grosses pièces, esquissé un geste de colère et parfois, suivant l’expression d’un très brave soldat, de « découragement. » Nos pièces restaient « impuissantes, » faute de longue portée, à détruire les batteries et à éteindre le feu de l’ennemi. Dès lors, quel que fût l’héroïsme des troupes d’assaut, les chefs les plus optimistes ne pouvaient jamais répondre du succès. Notre 75, nos trop rares batteries lourdes étaient incapables de l’assurer. L’Allemand s’en rendait compte, et que son salut était dans son artillerie. Avec quel soupir de soulagement un officier du 173e Saxon a écrit le 12 : «…Les mortiers sont arrivés ! »

Or, le 24 septembre, après plusieurs avertissements discrets, le Général en Chef était contraint d’avertir ses lieutenants que cette artillerie, déjà si insuffisante en face des gros canons allemands, allait, — situation tragique, — manquer, si on ne ménageait pas les munitions. « Si la consommation continue au même taux, il sera impossible de continuer la guerre, faute de munitions, dans quinze jours. »

Nul n’ignore aujourd’hui quelle fut la gravité de cette « crise des munitions » et de quelle angoisse furent étreints au cœur ceux qui connurent la vérité. Depuis, le ministre de la Guerre de septembre 1914 a dit les affres par lesquelles on passa : « Le problème des munitions est tous les jours plus graves, devait écrire sur son carnet, le 3 octobre, un officier du Grand Quartier, nous avions à peine trois cents coups par pièce. »

Sans doute, nous le savons aujourd’hui, l’Allemand connaissait la même crise et éprouvait les mêmes angoisses. Le fait ne nous fut révélé qu’au cours de la bataille des Flandres ; nous l’ignorions alors, mais ce que nous savions, c’est que l’ennemi allait, n’ayant pu prendre sur l’Aisne sa revanche de la Marne, faire un effort nouveau pour tourner nos armées sur leur gauche, tandis qu’en Woëvre il essayait de nous percer sur notre flanc droit.

L’attaque sur la Meuse était promptement et heureusement arrêtée sur Chauvoncourt ; mais il fallait s’attendre à une grande