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Au cours de l’interrogatoire qui suivit, Mouraview, ayant acquis la conviction que les Français ne prendraient fait et cause ni pour ni contre les bolcheviks, donna l’ordre qu’on nous remit en liberté, et même que nos armes nous fussent rendues. La dernière partie de cet ordre ne put être exécutée, car nos revolvers avaient déjà pris une direction inconnue. A quelques-uns de mes camarades, cependant, on permit de choisir, parmi les armes saisies au cours des dernières perquisitions, celles qui leur conviendraient.

Quand la « prise de Loubny » fut considérée comme achevée, c’est-à-dire quand le sac des maisons bourgeoises fut chose accomplie, les trains blindés reprirent leur marche en avant : J’eus alors assez souvent l’occasion d’être en contact avec le gouverneur de la ville. C’était un homme point trop mal intentionné, qui s’opposait au brigandage dans une certaine mesure, et à condition qu’on n’oubliât pas de le payer un bon prix. Aucune pensée politique derrière la tête ; une seule idée : faire promptement fortune.

Il arriva qu’un de mes wagons-ateliers prit feu. C’était justement celui où se trouvaient les machines-outils et les groupes électrogènes, et qui partant contenait de l’essence. Lorsque je vis qu’il n’y avait aucune chance de maîtriser l’incendie, que les extincteurs étaient impuissants, et que l’explosion des bidons de réserve était inévitable, je fis reculer tout mon monde. À ce moment arriva le chef bolchevik, — légèrement pris de boisson, — qui voulut à tout prix entrer encore une fois dans le wagon pour y prendre… je ne sais quoi. Soudain l’explosion prévue se produisit : le malheureux fut horriblement brûlé aux mains et au visage. Je dus le conduire tout de suite à un hôpital où on lui banda complètement mains et visage. Puis il regagna la gare où il avait élu domicile, malgré les exhortations du docteur qui voulait le garder chez lui. Le lendemain matin, j’allai prendre de ses nouvelles ; quel ne fut pas mon étonnement, sachant que ses brûlures quoique sérieuses, n’étaient que superficielles, d’apprendre qu’il était mort ! Ayant réussi à monter jusque dans sa chambre, ma surprise augmenta a voir que l’on procédait déjà à la mise en bière. Tout s’expliqua quand je constatai qu’il avait reçu, à bout portant, deux balles de revolver dans la tête. Ses acolytes, profitant de ce qu’il était dans l’impossibilité de se servir de ses mains pour se défendre, s’étaient