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ne saluant pas les hommes, mais en appelant quelques-uns par leur nom. A certains moments, ces familiarités avec les soldats pouvaient être du meilleur effet… mais je ne crois pas que ce fut le cas à la table d’un général !

J’ai dit que l’état-major affectait de vouloir se passer de nous : c’est malheureusement ce qui se produisit le jour de l’attaque. Elle devait avoir lieu à huit heures quarante-cinq. A six heures, on apportait une photographie prise le matin même à moins de 500 mètres et indiquant nettement les points démolis par où pourrait progresser l’infanterie. Mais les ordres étaient donnés : l’état-major ne voulut rien y changer. Le résultat fut qu’aux endroits démolis les pertes furent nulles et la progression très rapide ; aux endroits qui l’étaient insuffisamment, ce fut très dur d’abord, puis très sanglant. Une partie de l’objectif fut cependant atteint ; les Russes firent 18 000 prisonniers et prirent 30 canons ; mais cela leur avait coûté 4 000 hommes et plus de 600 officiers. Ceux-ci furent admirables et se firent hacher, car, pour être certains d’entraîner leurs hommes, ils s’exposèrent maintes et maintes fois inutilement. Combien n’est-il pas curieux de rapprocher le mordant que montrèrent ces officiers à l’attaque, de l’attitude qu’ils devaient avoir plus tard, se laissant massacrer par leurs hommes sans même se défendre !

Cette victoire devait être sans lendemain : après une avance d’une vingtaine de kilomètres, le manque de discipline et de cohésion gâta tout. Les ravitaillements, vivres et munitions, ne suivirent pas ; les comités voulurent s’en mêler ; Kerensky était parti et avec lui l’enthousiasme des premiers jours. Fort peu de temps après, une légère contre-attaque allemande ramenait les Russes à leur point de départ. L’état-major, prévoyant que d’autres contre-attaques suivraient, et doutant de la solidité du front, se retira à plus de 80 kilomètres en arrière : l’effet fut désastreux.

Pour cette offensive, on avait choisi les meilleures troupes : peu ou prou de Russes par trop ensovietés, mais beaucoup de Cosaques du Caucase, des Croates et des Polonais. Tout autour de notre train, de nombreux régiments de cavalerie étaient prêts à intervenir. Le soir venu, les officiers se rassemblaient, puis faisaient venir les chanteurs et les danseurs de leurs régiments. Je ne me souviens pas avoir entendu de voix plus