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encore trop rapprochée de la fonte des neiges, elle ressemble beaucoup plus à un champ labouré qu’à un chemin. Après quelques embourbements d’où nous ne nous tirâmes qu’à grand’peine, force nous fut, ayant trouvé des chevaux, de nous faire reconduire à notre point de départ. On voit par ce simple épisode quel tour de force c’est de faire avancer ou reculer une armée en Russie, et quelle endurance il a fallu aux soldats du début pour attendre l’arrivée de ravitaillements toujours problématiques. Notre voyage, ainsi remis, dut se faire par voie ferrée, c’est-à-dire qu’il nous prit cinq jours au lieu d’un.


LA DERNIÈRE OFFENSIVE

Les dernières arrestations de déserteurs à Kiew, les exhortations de Kerensky, la fermeté de l’état-major de Broussiloff, et aussi la pression exercée par les Alliés dont les officiers circulent partout en grand nombre, tout cela vient de décider les comités de l’armée de Galicie à accepter l’idée d’une offensive. Nous sommes dans la joie, car nous savons par ailleurs que cette armée encore assez disciplinée a du matériel, beaucoup de munitions et une réserve d’hommes telle que nous serons à plus de six contre un. De plus, les troupes autrichiennes qui tiennent le front d’en face ayant induit de quelques tirs de démolition qu’une offensive se préparait, commencent déjà à se rendre par paquets.

A propos des prisonniers autrichiens, il est bon d’ouvrir ici une parenthèse et de signaler le sort tout à fait exceptionnel qui leur était réservé, à Kiew notamment. Ils se promenaient librement, à toute heure du jour ou de la nuit, n’étaient soumis à aucun contrôle et occupaient toutes sortes de situations : cochers, jardiniers, valets de chambre, employés de banque, de tramways, etc. etc. Or, parmi les deux millions cinq cent mille hommes faits prisonniers, combien y avait-il d’agents de l’Allemagne ? Ils avaient toute facilité pour la renseigner ou exécuter ses ordres. Combien de fois en ai-je vu prendre la parole dans des meetings ! D’ailleurs, dans la rue, ils affectaient ostensiblement de ne pas saluer les officiers russes, et par contre de conserver vis-à-vis de leurs officiers à eux les mêmes égards que du temps où ils étaient directement sous leurs ordres.