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Préparée sur le front de Champagne par le général Gouraud ; de longue date, pendant de longs mois, avantage de la stabilité du commandement, et, mise au point pendant les derniers jours, bienfait d’une vigilance incessante. C’est contre lui qu’allait principalement porter, dans le début, l’effort allemand. Ludendorff avait choisi et machiné pour théâtre de son cinquième acte le long secteur de se kilomètres qui, contournant Reims par le Nord, s’étend de Château-Thierry, sur la Marne, à Massiges, à l’entrée de l’Argonne. Sa direction générale était Nord-Sud, et il avait sa droite à l’Ouest, sa gauche à l’Est de Reims. Sa gauche allait aussitôt se heurter et se butter à l’obstacle. La porte que fermait le général Gouraud avait, pour un de ses gonds, le massif de Moronvilliers, ces hauteurs désormais célèbres, le Mont Cornillet, le Mont-Haut et les autres. Mais le moyen le plus sûr de la tenir inébranlablement close était-il de s’accrocher au gond ou de se barricader derrière la porte? Le général Gouraud, s’étant arrêté au second parti, ne laissa sur les hauteurs mêmes que tout juste ce qu’il fallait d’hommes pour ralentir à son départ et briser l’élan de l’assaillant. Pour cette tâche suprême, il les fallait déterminés, héroïques, pénétrés de l’esprit de sacrifice. Il les fallait, et le général les eut, tous des volontaires, et il en eut plus qu’il ne lui en fallait. Bien peu d’entre eux sont revenus : mais tous ensemble, les vivants et les morts, ils continrent doux ou trois heures l’ennemi, fou d’impatience. Alors, des batteries dont l’espionnage allemand n’avait pas révélé l’existence ou tout au moins l’emplacement, se démasquèrent et prirent pour objectif nos propres réseaux de fils de fer, en avant desquels se formaient et s’apprêtaient les bataillons de Stosstruppen. Ce fut un massacre. L’abus, chez les Allemands, du mécanique et de l’automatique, l’exagération de prévoyance d’un État-major qui d’avance prédispose et coordonne tout, au mépris de l’imprévisible, de l’accidentel et de l’incoordonnable, y travaillèrent’ avec nous. Leur artillerie d’accompagnement, — une véritable artillerie montée, — qui devait soutenir les colonnes, vint, à l’heure dite, selon les instructions, se déployer à notre vue, et à l’heure dite, selon les instructions, les canons de l’ennemi commencèrent leur tir de barrage que, selon les instructions, aux heures II +- 1 + 2 + 3, ils allongèrent mathématiquement, sans que personne parût avertir que les Stosstruppen, retenues par le dévouement sacré de nos Spartiates, manquaient d’une, deux ou trois heures à l’horaire. D’où le massacre redoubla. Quand enfin, déjà las, décimés, usés avant d’avoir servi, ces bataillons d’élite eurent franchi le rideau de feu que