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qu’il ne pouvait, sans avoir au préalable anéanti Blücher, poursuivre le grand plan de rabattement sur la Haute-Marne dont la bataille de l’Aisne était le principe. Il eut la prétention, presque folle, de compléter sa victoire en forçant Laon, la ville inforçable.

On sait ce qui se passa : je ne m’y arrêterai que pour le rappeler en quelques mots. Pendant deux jours l’Empereur se consuma en de vains assauts.

D’abord refoulés, le 9 au matin, jusqu’aux premières rampes dans les faubourgs d’Ardon et de Semilly, les Prussiens par des contre-attaques débusquèrent les Français de Semilly et encore que, d’Ardon, une aventureuse compagnie fût parvenue à escalader les sentiers escarpés de cette « formidable falaise, » la division Poiret de Morvan fut à son tour expulsée du faubourg.

L’Empereur, arrivé de Chavignon, combinait pour le lendemain une nouvelle attaque. Marmont, arrivant fort en retard de Corbeny sur Festieux par la route de Reims, y devait jouer un rôle important ; or, cette nuit du 9 au 10, le Maréchal (« le duc de Raguse, dira Napoléon, s’est conduit comme un sous-lieutenant ») laissait surprendre à Athies son corps qui, pris dans une formidable hourrah, faillit y rester tout entier, ne s’en tirant qu’en y perdant la moitié de son effectif. Cependant l’Empereur maintint ses plans ; le résultat fut qu’il fit en vain, le 10, attaquer derechef les faubourgs. Cette attaque n’eut qu’un avantage : elle en imposa à Gneisenau qui remplaçait Blücher, terrassé par la maladie. Celui-ci qui, après le coup d’Athies, croyait à la retraite immédiate des Français, avait dicté un ordre de poursuite sur les routes de Soissons et de Reims. Décontenancé par l’offensive de gens qu’il s’apprêtait à poursuivre, Gneisenau avait naturellement dû renoncer à pourchasser un ennemi qui, si hardiment, le relançait ; mais son impression avait été si forte que, le 10 au soir, Napoléon se décidant à la retraite, le général prussien n’osa reprendre l’ordre de poursuite de Blücher, craignant une feinte.

Napoléon put donc gagner Soissons, — la ville avait été la veille réoccupée par les Français, — assez tranquillement ; Charpentier et la cavalerie marchèrent par Mons, Anizy et Laffaux ; Mortier et Priant par la grand’route ; Ney resta devant Laon pour en imposer et ne retraita que le lendemain 11 à l’aube.