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l’opération de l’Aisne devait servir de point de départ et quelle foi l’Empereur avait dans son succès.

Mais il était, par ailleurs, trop prudent pour continuer à marcher vers le Nord, en laissant à Blücher, sur son flanc, la disposition de la partie orientale du plateau. Il était renseigné sur les mouvements de l’ennemi : Blücher avait quitté Chavignon, le 6 au matin, pour se porter sur Craonne ; à la même heure, Napoléon faisait occuper le bourg par deux bataillons de la jeune garde ; après un court combat, ces conscrits étaient restés maîtres de la situation. Napoléon avait fait par ailleurs avancer sur l’abbaye de Vauclerc, dans la vallée de l’Ailette, la division Meunier, du corps de Ney, qui en avait délogé les Russes et pénétré assez avant dans ce couloir pour que Ney pût, sans crainte d’être surpris, établir son quartier général au château de la Bove, sur le plateau septentrional.


« L’offensive prise par Napoléon déconcertait Blücher, écrit Henry Houssaye, mais le mouvement de Blücher sur Craonne déconcertait Napoléon. » Le maréchal devait renoncer à surprendre Napoléon en marche et lui livrer bataille en plaine, mais Napoléon devait renoncer à marcher délibérément sur Laon par la plaine avant d’avoir nettoyé d’ennemis les plateaux orientaux du massif. Il était ainsi entraîné vers le Chemin des Dames et la route de Soissons à Laon où celui-ci l’amènerait ; il lui faudrait refouler l’ennemi sur Laon, au lieu d’aller l’y attendre. Il espérait, à la vérité, ne rencontrer, barrant le chemin, qu’une très forte arrière-garde dont il aurait raison en quelques heures ; portant sur le plateau son armée, il entendait que Marmont et Mortier, qui allaient passer l’Aisne, marchassent sur Laon par la route de Reims. Peut-être arriveraient-ils assez tôt pour n’avoir à écraser sous la ville que les débris de l’armée alliée battue par l’Empereur sur le plateau.

Blücher pénétra le dessein. Ayant appris l’occupation par les Français de Craonne et de la vallée de l’Ailette, il jugea que la position devenait moins bonne qu’il ne l’avait espéré et qu’il serait téméraire d’y compromettre toute son armée. Par ailleurs, il paraissait que le problème étant d’arrêter les Français sur le Chemin des Dames, point n’était besoin pour barrer l’isthme d’Hurtebise d’une armée entière ; ce serait déjà