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graves de notre histoire. Quoique Napoléon ait tenté d’en réparer le mal, il devait rester finalement irréparable. On sait quels projets fort réalisables l’Empereur avait échafaudés sur l’écrasement de Blücher ; on sait que, selon toutes les probabilités et de l’aveu des propres lieutenants du feld-maréchal, cet écrasement le 3 mars au soir semblait à peu près inévitable. Il fallait que Soissons tînt quarante-huit heures : le gouverneur de la place, un général Moreau, médiocre, pusillanime et crédule, s’en laissa imposer par les artifices du parlementaire de Winzingerode, le général de Löwenstern[1] et capitula sans aucune nécessité pressante, encore qu’il dût entendre le canon de Marmont à quelques lieues au Sud. C’eût été, en tout état de cause, une faute très grave ; les circonstances en faisaient un crime.

Napoléon arrivait, le 4, à Fismes, avec la vieille garde et le corps de Ney ; il croyait toucher au but ; en fait, il barrait la route de Berry-au-Bac à Blücher. Par surcroît, Corbineau, détaché sur Reims, allait reprendre cette ville, ce qui garderait le flanc droit de l’armée de toute surprise. Et enfin Marmont et Mortier, l’Ourcq passé, talonnaient l’armée Blücher de telle façon que l’étau semblait près de la broyer. A Hartennes, les maréchaux apprirent que Soissons avait capitulé et que toute l’armée prussienne franchissait sur les quatre ponts le fleuve dont, quelques heures avant, le passage lui semblait interdit. Ils s’arrêtèrent et expédièrent à Napoléon avis de l’événement. Napoléon reçut à Fismes la nouvelle : il ne perdit que cinq minutes à écrire cette lettre foudroyante en sa brièveté au ministre de la Guerre où l’on sent, contre ce « misérable » Moreau, gronder une fureur bien légitime ; puis, à son ordinaire, il se rejeta sur ses cartes et chercha, — c’était le propre de son génie, — à reconstruire une situation avec les morceaux de sa combinaison mise en pièces.


V. — CRAONNE ET LAON

Encore que maîtresse de quatre ponts, l’armée de Blücher passait très lentement l’Aisne ; d’autre part, l’Empereur la savait fatiguée, et, avec la complaisance que tout chef militaire,

  1. Nous possédons ses Mémoires, édités par le commandant Weil.