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concurrence commerciale, dont les résultats se chiffrent chaque année par centaines de millions, font vivre des ouvriers par dizaines de mille, et trouvent, au jour voulu, leur application immédiate pour la fabrication du matériel de guerre.

A l’exemple de ces techniciens, nous allons nous montrer conservateurs et empiriques dans les problèmes très vastes, où intervient la politique sociale et où nous nous méfierons du « sentiment ; » mais novateurs et au besoin révolutionnaires dans l’agencement et le fonctionnement de l’usine. Peut-être apprendrons-nous à leur école que, pour réussir, il ne faut ni vouloir tout entreprendre, ni forcer les possibilités de la nature, mais localiser ses efforts suivant ses forces et les appliquer avec persévérance là où l’on a acquis la conviction qu’ils pouvaient devenir fructueux.

Nous ne nous placerons pas de parti pris dans l’hypothèse d’une offensive économique succédant à la défensive militaire des Alliés ; nous n’envisagerons cette offensive que comme le meilleur moyen de nous défendre. Mais, quels que soient la forme de la paix et le degré de la pacification, un groupement humain qui voudra prospérer, devra, comme un individu, s’appuyer sur le travail, l’ordre et l’économie, endurcir ses muscles et tendre son esprit vers la lutte. Plus les conditions de la vie seront ardues et les ressources de tous genres appauvries, plus il faut, dans nos prévisions, tenir compte de l’âpreté avec laquelle on se les disputera. Suivant toutes vraisemblances, rien ne ressemblera tant à une guerre que la prochaine concurrence économique d’après-guerre.

Aussi sommes-nous conduits à agir comme un chef militaire qui ne sait pas où et avec quelles forces l’adversaire l’attaquera, mais, qui se renseigne par tous les moyens possibles et qui tient compte des diverses hypothèses suivant l’ordre de leur vraisemblance. La fin de la guerre et les conditions de la paix présentent encore d’énormes incertitudes, dont nous avons eu la preuve autours de cette dernière année par des imprévus tels que l’entrée en jeu des États-Unis et la trahison de la Russie. Mais ce n’est pas un motif pour nous abstenir de raisonner jusqu’à l’instant où toutes les équations du problème auront été déterminées. Il serait alors trop tard. Tout commerçant, tout industriel, si prudents soient-ils, doivent se risquer par moments à des prévisions presque spéculatives ; sans quoi,