Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soldats de Ney l’assaillant du Nord et ceux de Nansouty l’assaillant du Sud en sauront quelque chose, et nos soldats de 1914 comme ceux de 1917. Craonne est accroché à flanc de falaise, vers l’Est, au pied de la terrasse, où se terminent, à proprement parler, vers la plaine de Reims à Rethel, les plateaux de l’Aisne.

Le plateau oriental, — entre la plaine de Laon, Soissons et Craonne, — présente donc un mur crénelé du côté de l’Aisne, d’un aspect assez abrupt et peu engageant à l’assaut. Par surcroit, il est, les premières crêtes franchies, coupé par un fossé profond, creusant le massif qui enveloppe ainsi Laon de deux murs de circonvallation. Entre le musoir de Craonne et celui de Berrieux, l’Ailette pénètre dans le massif et le creuse. Ce ruisseau aux rives marécageuses va passer à l’histoire. Il en était déjà sans cesse question dans les rapports des lieutenants de Napoléon, mais sous le nom de Lette, et Vidal La Blache, il y a quinze ans, ne lui donnait encore que ce nom. L’état-major en avait, à la vérité, décidé autrement et adopté sur ses cartes là forme Ailette, qui est charmante et s’est imposée. Mais le nom fait illusion : la riviérette ne coule point vive et claire, capricieuse et cascadante, telle qu’une petite rivière vosgienne. Elle est médiocre, trouble, marécageuse. Ce fossé boueux sépare nettement en deux le massif. Ayant cheminé, libre d’abord, ensuite canalisée entre la forêt de Vauclerc et Bouconville, entre Ailles et Chermizy, entre Cerny et Chamouille, entre Courtecon et Grandelain, entre Pargny-Filain et Chevregny, elle tourne brusquement vers le Nord, confondue parfois avec le canal de l’Aisne à l’Oise, et, se dirigeant vers Coucy-le-Château, vient en baigner les pieds avant de s’aller jeter dans l’Oise en aval de Chauny, après un cours singulièrement long pour son médiocre débit. Il n’en va pas moins que ce cours d’eau a joué et continue à jouer un rôle historique. Le fossé qu’il creuse augmente sensiblement les difficultés d’une bataille de plateaux : les soldats de Napoléon ayant pu, de Corbeny, s’engager dans son étroite vallée, en connaîtront moins que les nôtres la malfaisance ; mais les Prusso-Russes de Winzingerode et de Blücher, courant au secours des Russes de Woronzof engagés sur le plateau de Craonne, s’y embourberont proprement, nous le verrons, au point d’y perdre la partie. Les avant-gardes de Maud’huy et de Haig, en 1914, le franchiront assez allègrement, mais non leurs