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il me semble, aussitôt et, de la façon qui put plaire davantage, non seulement par des articles louangeurs, qu’il signa, mais dans ces petites notes de rappel au public, dont il usa et abusa pour Hugo.

En 1831, à son arrivée rue des Beaux-Arts, naturellement Sainte-Beuve s’est vu demander par le directeur un article sur Hugo, et il s’empresse :

« Mon cher ami, Bulloz me tourmente pour un article ; il voudrait que je lui en fisse un sur vous. J’ai pensé que cet article biographique, repris[1], complété, développé surtout dans les dernières parties avec un jugement littéraire, ferait l’alîaire de Buloz. Mais. serait-ce le vôtre, mon ami ? » Cette question est assez comique ; Sainte-Beuve devait pourtant savoir qu’Hugo ne se dérobait pas à ce genre de louange. « Cela vous accommodera-t-il ? Il désirerait aussi que la pièce, dont j’ai cité quelques vers sur votre naissance, s’y trouvât, sinon entière, du moins en grande partie[2]… » et il termine en demandant à son ami comment il va. (C’était quelque temps après l’explication qu’ils avaient eue ensemble, au sujet de Mme Hugo.) Il veut savoir « s’il est plus content, » si « les nuages s’en vont de ce front et les soupçons de ce cœur, » s’il y « a toujours sa place, » lui, Sainte-Beuve, « cruelle pour vous, et irritante[3], » etc.

Hugo, en lui envoyant la pièce de vers à insérer dans l’article de la Revue, lui répondra : « Vous êtes mille fois bon de vous occuper encore de moi. »

Malin, Sainte-Beuve ! et pervers, oui, en vérité, car cette lettre du 19 juillet, dans laquelle il propose un article qui ne sera qu’un long chant de louange, cette lettre suit de très près une autre lettre de Victor-Hugo, belle et confiante, dans laquelle le poète déclare : « Votre conduite a été loyale et parfaite, vous n’avez blessé, ni dû blesser personne ; tout est dans ma malheureuse tête, mon ami[4] ! » Et pendant que Victor Hugo, magnifique, s’accuse ainsi, le subtil Sainte-Beuve écrit des hymnes pour le mari, et pour la femme ceci :

  1. Déjà le 1er juin il écrivait à Hugo : « Je suis en train de faire Votre biographie… » etc.
  2. Ceux-ci, alors inédits : « Ce siècle avait deux ans… »
  3. 19 juillet 1831.
  4. 7 juillet 1831 : Victor Hugo à Sainte-Beuve. Correspondance de Victor Hugo.