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aspect, — en voyant renaître ainsi la nature on se sent ranimé soi-même… ces compagnes de la volupté, ces douces larmes toujours prèles à se joindre à tout sentiment délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières… Mais l’aspect des vendanges a beau être animé, vivant, agréable, on le voit toujours d’un œil sec, pourquoi cette différence ? etc. »

Sainte-Beuve répond à Rousseau : « La terre paréo des trésors de l’automne étale une richesse que l’œil admire, mais cette admiration n’est pas touchante, elle vient plus de la réflexion que du sentiment. Voyez Delille dans sa charmante épitre à une demoiselle de huit jours… »

A la date du 9 juin, l’étudiant écrit :

« Quelques malheureux pédants, pour prononcer en connaisseurs, disent à leurs élèves en parlant de l’immortel Tacite :

Brevis esse laboro
Obscurus fio.

Insensibles, ils critiquent ce qu’ils n’entendent pas. » Si l’on ne rencontrait, de temps en temps, sous la plume du jeune homme, quelques-uns de ces traits dirigés contre les professeurs, on ne croirait pas que ce laborieux, cet érudit, a seize ans !

Bien entendu, les vers qu’il transcrit sont ceux qui l’ont frappé, pour une raison ou pour une autre… Je n’ai pas besoin d’indiquer pour quelle raison le jeune homme se plait à relire ceux-ci :

<poem> Heureux qui près de toi pour toi seule soupire, …………… Je sens de veine en veine une secrète flamme Courir par tout mon cœur sitôt que je te vois, Et dans les doux transports où s’égare mon âme ; Je ne saurais trouver de langue ni de voix. Un nuage confus se répand sur ma vue : Je ne vois plus, je tombe en de douces langueurs, Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue Je pousse un long soupir, je tremble, je me meurs[1].

  1. Ode de Sapho, citée par Boileau dans la traduction du Traité du Sublime de l.ongin. Le texte de Sainte-Beuve diffère légèrement de celui que donnent les éditions de Boileau.