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commune avec des compagnons de rencontre : le comte de Puymaigre rapporte que, à Nuits, il fut logé dans une pièce contenant deux lits : « Le second était occupé par deux jeunes époux mariés depuis peu et d’un physique fort agréable. Il dormirent si peu que je ne dormis pas du tout[1]. »

Si, pour les Français dont la bonne humeur est inaltérable, cette promiscuité devient motif à plaisanteries ou prétexte à gaillardise, elle paraît à certains étrangers importune et désagréable. Ils ont, pour tout dire, d’autres griefs : glissons sur la vermine dont sont infestées certaines régions de l’Ouest de la France ; mais, en général, même dans les plus pauvres villages, l’hôtellerie est « propre et bien tenue. » Mme Cradock, fort sévère sur cet article, et dont les appréciations sont par conséquent très précieuses, descendant à Amboise dans une auberge de rouliers, — au Cheval bardé, — constate que le gîte est attrayant et la nourriture excellente. À Mortagne, en bas Poitou, l’hôtel Louis le Grand dont l’extérieur est « minable » la séduit par les mêmes avantages, et aussi l’hôtel de la Poste, à Saint-Herman, « modèle de propreté et de confortable, » et encore à Langon l’hôtel des Princes, qu’elle ne peut mieux louer qu’en le comparant à une auberge anglaise, et pareillement à Castelnaudary, le Lion d’Or, « vieil hôtel propre, gens attentifs et nourriture bonne, » et même dans un simple hameau, situé au bord du canal des Deux Mers, hameau dont elle ignore le nom et où elle trouve « des chambres parfaites et un souper délicieux, » preuves, ajoute-t-elle, que « la maîtresse préside elle-même à tout[2]. »

L’hôtesse, en effet, est la magicienne grâce à qui « l’hospitalité de l’auberge perd quelque chose de sa laideur d’hospitalité payée. » Elle a de ces fines attentions de femme, « qui voilent la vénalité de l’accueil. » Au vrai l’hôtesse est admirable : son mari s’occupe des chevaux ou boit avec les rouliers ; elle « va, vient, ébauche tout, achève tout, complète tout, talonne les servantes, mouche les enfants, chasse les chiens, complimente les voyageurs, stimule le chef, sourit à l’un, gronde l’autre, surveille un fourneau, porte un sac de nuit, accueille celui-ci, embarque celui-là[3]… » Jour et nuit, à

  1. Comte Alexis de Puymaiyre. Souvenirs sur l’Émigration, l’Empire et la Restauration, p. 99.
  2. Cradock, 169, 170, 198, 242, 291.
  3. V. Hugo. Le Rhin. Lettre III.