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pour diverses raisons, qu’elles aient plusieurs centimètres d’épaisseur et il est impossible d’aléser exactement et de tourner des gros tubes très minces.

La difficulté a pourtant été vaincue grâce à un procédé admirablement ingénieux, réalisé pour la première fois il y a quarante ans par le capitaine français Schultz, et dont il y a trente ans le capitaine français Moch (il a eu de l’avancement et est aujourd’hui commandant) a donné la théorie exacte. C’est le frettage en fils d’acier, qui consiste à remplacer le frettage en tubes épais par des couches de fil enroulées simplement à froid, qui constituent autant d’enveloppes minces réduites chacune à sa partie intérieure à celle qui contribue le plus à la résistance du canon. On se rapproche ainsi, autant qu’il est possible, de la structure d’un tube théorique comportant un très grand nombre de frettes très minces superposées.

Créée tout entière par des cerveaux français, réalisée d’abord par Schultz, mise au point et systématisée par les beaux travaux de Moch qui l’ont codifiée, tirée définitivement de l’ornière tâtonnante de l’empirisme et fait entrer dans la voie rationnelle, dans la voie scientifique, cette invention est bien connue des artilleurs du monde entier. Pourtant elle n’est pas, dans sa patrie d’origine, appliquée comme elle le mériterait à mon sens. C’est assurément un peu le sort de la plupart des belles idées qui germent chez nous : nul n’est prophète en son pays est un proverbe français, trop français même. Mais enfin, aujourd’hui les canons en fils d’acier sont couramment réalisés à l’étranger, et le moment est venu où l’on peut espérer que, revenus au bercail sous ce patronage exogène, ils seront, au bout du compte, comme l’enfant prodigue rentré au bercail, accueillis comme ils le méritent dans leur pays natal.

Le contraire serait pour étonner, comme j’espère le montrer par les détails suivants dont il n’est aucun qui ne soit connu des spécialistes et que j’emprunte aux ouvrages classiques de Moch et à ceux qu’a publiés dès avant la guerre le gouvernement britannique, et notamment le Text book of gunnery et le Treatise on service ordnance édité en 1908 et qu’on trouve partout dans le commerce.

Chez nos alliés britanniques, — trop de gens ignorent ce détail, — tous les canons construits depuis plus de quinze ans, tant pour la marine que pour l’armée, l’ont été exclusivement en fils d’acier. Les Anglais sont à tel point convaincus de la supériorité de ce procédé que leur Trealise on service ordnance divise l’histoire des progrès de l’artillerie en cinq périodes dont la dernière, la période actuelle,