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En fait, nous l’avons dit, la limite de pression, la charge de sécurité qu’on se fixe est très inférieure à la limite d’élasticité du métal considéré. Ainsi on ne fait guère travailler à plus de 2 000 kilogs par centimètre carré un acier à canon dont la limite d’élasticité est de 4 000 kilogs, ce qui laisse une marge égale pour les actions secondaires et les surpressions accidentelles de la poudre.

Pour bien montrer à quel point, dans un tube homogène, la couche intérieure est de beaucoup celle qui travaille le plus, il nous suffira d’indiquer que, dans un pareil tube d’épaisseur égale au calibre, si la tension produite dans sa couche interne est de 2 000 kilogs par centimètre carré, elle n’est plus que de 650 kilogs au milieu de l’épaisseur du tube et de 400 kilogs sur sa couche externe.

Est-on donc condamné à ne pouvoir construire que des canons incapables de supporter une pression de tir inférieure à la pression de sécurité qu’on s’est fixée pour le métal employé ? Oui, si on s’obstine à ne faire les canons qu’au moyen de tubes d’une seule pièce. Non, si au contraire on emploie le procédé du frettage aujourd’hui généralisé dans tous les pays, et qui a été un des plus grands progrès que l’artillerie ait jamais faits.

Qu’est-ce-que le frettage ? Si nous ouvrons maint dictionnaire célèbre, notamment celui de Littré, nous en déduirons que c’est une chose inexistante, car ce mot n’y figure pas. La science et la technique ont cet heureux privilège que les faits, les phénomènes nouveaux y surgissant sans arrêt, les choses y naissent avant les mots, alors qu’il en est, hélas ! si souvent autrement dans le domaine moral.

Donc le frettage est un procédé de construction de bouches à feu qui consiste à substituer au tube simple un tube composé plus résistant, formé de plusieurs enveloppes successives et qui se compriment les unes les autres. — Une frette est donc en général un tube que l’on emboîte sur le tube central d’un canon. Cet emboîtement est réalisé le plus souvent en chauffant la frette de telle sorte que, dilatée par la chaleur, elle puisse venir se glisser sur ce tube. Une fois refroidie, elle se rétrécit et son diamètre interne a été alésé de manière à être de quelques dixièmes de millimètre plus petit que le diamètre externe du tube à fretter. Il s’ensuit que la frette, une fois posée et refroidie, exerce une certaine compression sur le tube central et tend à rétrécir son diamètre, comme fait un corset un peu trop serré sur une taille féminine que la coquetterie voudrait plus fine.

Cherchons maintenant à comprendre sans calculs, — c’est beaucoup moins commode qu’avec calculs, mais cette petite difficulté