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Parisien de son âge, même comblé des faveurs de la fortune, doit se résigner à l’infériorité. C’est que le hasard, qui nous fait naître aux champs, si misérable que soit le logis, est un hasard heureux : du même coup il nous met dans le plus admirable « jardin d’éducation, » qu’on puisse imaginer. L’horizon et le ciel sont les limites de ce jardin ; il renferme toutes les richesses de la nature et les merveilleuses inventions de l’homme pour forcer la terre à le nourrir. L’enfant se projette dans la réalité qui l’entoure avec toutes les forces de son être physique et moral : il voit, touche, tourne, retourne, manie, pratique familièrement cette réalité. Il y gagne des images psychiques, des idées, chargées de concrète vérité. Le petit Parisien, qui mange un poulet, ne sait rien de son histoire ; le petit paysan la sait toute, depuis le matin ensoleillé, où, sur le bord du nid, la poule, ayant fait son œuf, joyeusement chanta.

Ces idées sont directes, passant de la réalité dans le cerveau, sans le secours de personne, sans maîtres, livres, images ou jouets. Elles s’y rangent dans un ordre naturel et logique. Ce n’est pas par le bouquet dans le vase de fine porcelaine qu’on commence à s’instruire sur les fleurs ; mais par la petite graine qu’on a vu mettre en terre, d’où sort le brin d’herbe qui monte pour se couronner de boutons épanouis. On va du premier au second, du simple au composé, comme a fait l’humanité au cours de son histoire. Pendant que le petit citadin lance son élégante automobile qu’un ressort fait courir sur le parquet, le petit paysan du matin au soir est aux prises avec la brouette de son père sous le hangar : la brouette fait plus d’honneur au génie de l’homme primitif que l’automobile à celui du savant contemporain. Et, comme l’enfant sans aucun guide acquiert ses idées de haute lutte, par ses seuls moyens, par l’emploi de tous ses sens, de toutes ses facultés, par l’action intégrale de son être, il les trouve nettes, valables, motrices, prêtes, quand il veut les réaliser, et n’a pas d’autre ambition ; sur la citrouille abandonnée il découpe la roue et le bâti de la brouette ; une broche sert d’essieu ; voilà l’outil monté. Il ne fabrique pas des jouets, mais des outils. Il s’est donné sans réserve au métier paternel et très sérieusement il l’exerce. Il ne joue pas, il travaille.

Contre le mur de la maison, il a rangé quatre pierres et auprès de chacune d’elles il met un caillou. Il se promène