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l’énergie du soleil, qui passe avec, le vin dans nos veines pour s’y transformer intégralement, — les savants nous le disent avec chiffres à l’appui, — en chaleur, mouvement, pensée… oui pensée, gaie ou sévère, couplets à Madelon ou Marseillaise, courage physique et moral, héroïsme, car là-bas, dans la boue de la tranchée, en attendant l’attaque, salut et gloire au pinard divin ! La métairie porte d’ailleurs d’autres cultures très prospères, dont quelques-unes demandent des soins minutieux, délicats, presque tendres. Que deviendrait tout cela dans la vaste simplicité de l’organisation nouvelle ?

Mais allons droit au cœur de la question pour dissiper certaines illusions sur le machinisme agricole. La métairie n’est pas, ne peut pas être une usine.

A l’usine, la machine fait tout sans le secours des animaux. Ils sont indispensables aux champs pour certains travaux, auxquels la machine ne s’adapte pas, et pour fournir le fumier. Grave question que celle du fumier. J’en sais qui rêvent de s’en passer, grâce aux engrais chimiques et à l’exaltation des forces nitrifiantes, dont on aperçoit la promesse dans certains procédés nouveaux de culture par l’émiettement continu du sol. Il ne faut jurer de rien avec la science : en attendant, conservons le troupeau, qui nous donne chaque jour un triple profit par le travail, le fumier et la chair qu’il met sur ses os.

A l’usine, on travaille tout le temps, au besoin la nuit comme le jour. Ici nous ne travaillons que le jour et si le temps le permet. Le paysan change souvent le programme de sa journée. Quatre attelages besognaient à pleine charrue qu’il faut vite ramener sous l’orage et les gens aussitôt de se mettre à botteler du foin ou laver des topinambours.

A l’usine, autour de la machine, les ouvriers qui la servent divisent leur tâche de telle manière que chacun d’eux fait tous les jours, du matin au soir, le même geste, invariable. La machine imprime à ses serviteurs l’automatisme dont elle est trépidante. Elle les transforme en matériel humain. La machine agricole s’emploie surtout au travail grossier, pénible, et laisse à l’ouvrier toutes les parties fines de ce travail, qui sont nombreuses. Pas de machines pour tailler un pied de vigne, éclaircir un semis, œilletonner les artichauts, pincer les tomates, ni pour choisir dans le troupeau les élèves qui promettent, ni pour calmer la nervosité d’une jeune mère, qui refuse la mamelle à