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où il est, c’est-à-dire dans la démarche intime de l’âme.

Le progrès de la civilisation n’est-il pas le progrès des lumières, celui de l’intelligence claire, représentée par la science ? Il semble bien que la science, avec ses prodigieux succès, soit l’indice lumineux de la civilisation. Celle-ci dans un peuple ne se mesure-t-elle pas à son degré de culture scientifique ? Cette opinion, très allemande et très fausse, renferme tout de même une part de vérité. On ne peut nier que la science ne soit facteur important dans l’œuvre civilisatrice… Or l’homme, à mesure que la science le civilise et que devant lui les ténèbres se dissipent, apprécie la certitude ; il en prend le goût et l’habitude. Une affaire se présente : il ne l’entreprendra que par une confiance fondée sur la précision des calculs, c’est-à-dire à base de science. Il dédaigne une autre confiance, celle de l’optimisme, à base de foi.

L’homme, dont l’âme est cultivée par la science, répugne à l’aventure, à cause de l’incertitude qui la domine. Pour la tenter, il faut la foi, et la foi chaque jour s’exclut du jeu de sa pensée. Or, la religion, qui nous impose de si durs sacrifices en vue des récompenses éternelles dont personne n’est jamais venu rendre un scientifique témoignage, est-elle autre chose qu’une aventure ? Aventure aussi l’hypernatalité, qui remplit la maison de berceaux, avec les incommodités, les fatigues, les charges pour le présent et tant d’incertitudes pour l’avenir. Aventure encore la terre, qu’on recommande à notre amour, qui nous demande un travail épuisant pour le morceau de pain qu’elle nous promet, si la gelée, la chaleur et la grêle y veulent consentir. Décidément l’homme, dont l’œil s’est ouvert aux clartés nouvelles, se refuse à courir tant de risques. De ce refus on donne bien des raisons, plus ou moins valables, et on oublie la première de toutes, qui dispense des autres, et c’est que l’aventurier se meurt. Les succès de l’intelligence, le refoulement de l’instinct de vie, le dédain de la foi dans le mécanisme psychologique et de l’optimisme qui en sort ont tué le superbe aventurier, il manque maintenant au village et voilà comment l’église est désertée, la mairie inscrit peu de naissances et les champs sont menacés d’abandon.