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l’autre extrémité de l’âme, où traditionalisme, hérédités, mysticisme travaillent ensemble. Ce sont de grandes forces ; il s’en empare, les porte et les applique aux points par lui choisis. Il met tous ses soins à certaines choses qu’il arme et fortifie. Il aime ces choses, qui sont fonction de vie, la terre qui nous nourrit, l’épée qui nous défend, l’esprit de solidarité, si puissant dans l’âme populaire, sans lequel l’homme ne peut vivre, enfin pour les jours difficiles l’Impératif qui, nous élevant au-dessus de nous-même, nous permet de faire ce qui doit être fait sur les champs de bataille, dans les hôpitaux et ailleurs, dans tant de vies silencieuses où le simple devoir est parfois si dur qu’il semble impossible.

Les philosophes nous enseignent cet Impératif sous différents noms et l’humanité, depuis ses premiers bégaiements, l’a toujours adoré sous le vocable de Dieu. La pensée du philosophe nous peut donner un Impératif, dépouillé de tout mysticisme, mais cette pensée reste alors solitaire, ne dépasse pas quelques initiés : l’essentiel lui manque, précisément le mystique, pour devenir l’âme innombrable des paysans, des guerriers, l’âme populaire, l’âme religieuse.


Voilà donc l’âme paysanne dont l’instinct fait dans la subconscience une fonction de vie avec les trois caractères communs aux grandes forces qu’il emploie.

Elle est héréditaire avant tout. Il n’est pas de jour où l’on n’entende dans les champs ce cri du cœur exaspéré par l’ingrate dureté du travail : « Faut-il qu’on ait cette sale terre dans le sang pour rester avec elle acoquiné ! » Rien de plus vrai. Celui que la seule nécessité conduit à labourer n’attend que l’occasion pour quitter la charrue. Il n’est pas un vrai paysan. On ne le devient pas par raison et souvent par elle on cesse de l’être. L’expérience agricole dans un laboratoire, où vous déterminez toutes les conditions de l’expérience, satisfait pleinement la raison, non sur votre champ, où ces mêmes conditions en partie vous échappent, et, comme vous en attendez le pain de la maison, l’insuccès est irritant, douloureux. A qui se pique de raisonner, le métier ne paraît guère rationnel, et celui-là l’est au contraire, où de son effort on est payé chaque mois, à jour fixe. Que de fois nous avons pu suivre cette crise morale ! La