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l’univers aux paroles nouvelles et étranges qui parlaient des bourgades de la Judée :

Magnus ab integro sæctorum nascitur ordo.

Les réflexions qu’on va lire nous sont inspirées par le souci de la terre, et même, si l’on veut, un souci paysan ; mais, en dépit des apparences, il n’en est pas de moins égoïste. Tout le monde doit rester attentif à nos inquiétudes, Elles sont grandes. Le commerçant et l’industriel, n’en ont pas de semblables. Ils pensent, et on est généralement de cet avis, qu’au lendemain de la guerre le commerce et l’industrie prendront un essor merveilleux. Personne n’en dit autant de la terre. Son avenir apparaît incertain et sombre ; plus d’un envisage secrètement l’éventualité possible de son partiel abandon. Or, de l’inculture du champ son possesseur ne serait pas seul à souffrir ; le beurre et la côtelette mouleraient à des prix que nous commençons présentement à connaître, et de cela personne que je sache ne se désintéresse.

Vers la fin de l’Empire, les citoyens romains, oublieux de Cincinnatus, se refusèrent à cultiver les terres fertiles de l’Italie. La vie matérielle y devint impossible. Ce fut une des raisons, au dire de Ferrero, qui firent sortir les Barbares de la Germanie. Certes, les choses du présent ne sont jamais exactement superposables à celles du passé, mais tout de même restons sensibles aux leçons de l’histoire.

En définitive, le danger pour la terre est tout entier dans une seule difficulté celle de la main-d’œuvre, qui n’est pas nouvelle. Déjà, depuis longtemps, avant la guerre, une crise intense sévissait, liée au phénomène capital de l’hyponatalité, comme elle générale, et de gravité variable selon les régions.

Déficiente avant la guerre, la main-d’œuvre agricole le sera beaucoup plus après : tant de laboureurs sont morts en défendant la terre qu’ils aimaient, tant d’autres reviendront mutilés, et ne faut-il pas-songer à ceux qui, sortis indemnes de la bataille, renieront au retour leur ancienne amie ? Quatre ans sont une longue absence, et l’absence est funeste aux amours. La terre, maîtresse ensorcelante, mais dure, ne garde l’homme que s’il reste ignorant de certaines douceurs qu’enseignent les voyages.