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aux entreprises germaniques risquent, si les Alliés n’y mettent obstacle, de substituer à la « Mittel-Europa » un programme singulièrement plus vaste et plus dangereux, visant la pénétration, l’absorption de l’immense domaine russe de la Baltique à la mer Noire et à la mer Caspienne, de l’océan Arctique et de l’Oural jusqu’à la Sibérie et jusqu’au Pacifique, l’Empire des Huns joint à l’Empire d’Alexandre.

Dès à présent l’Allemagne s’est mise à organiser les gouvernements ou protectorats de la Courtaude, de l’Esthonie, de la Livonie, de la Lithuanie. Elle s’est assuré le contrôle et la maîtrise de la Finlande, prenant hypothèque sur le golfe de Botnie et jusque sur les ports de l’Arctique. En Pologne, où le régime demeure par calcul provisoirement indéfini, dans l’Oukraine où elle a installé un hetman dont elle s’efforce, non sans peine, de consolider l’autorité, sur les côtes de la mer Noire où elle s’est attachée à désarmer la flotte russe, dans les vastes étendues du Caucase et de la Caspienne, elle travaille, avec les forces militaires très réduites qu’elle a laissées, avec ses ambassadeurs, ses commissaires, ses délégués, ses agents financiers, ses espions de tout calibre et de toute provenance, à tout accaparer, à tout exploiter, à tout gouverner et soumettre. Elle voudrait, pour suppléer la voie de Bagdad qui lui a échappé, capter ces lignes du Transcaucasien, du Transcaspien, de Samara à Orenbourg, Tachkent et Samarkande qui, à défaut des plateaux et des vallées de l’Asie-Mineure, lui ouvriraient les routes de la Perse, de l’Afghanistan et des Indes. Elle tente enfin, pour prévenir des éventualités qu’elle redoute, ou se ménager des chances que l’insolence de trop faciles succès lui permet de ne pas croire chimériques, d’obtenir du gouvernement bolcheviste une sorte de mainmise sur le Transsibérien, qu’elle lui représente comme la route d’invasion des puissances asiatiques, du Japon et de la Chine.

Ces plans et projets, si démesurés qu’ils soient, ne découragent pas le robuste appétit des Empires de proie, qui trouveraient dans le butin russe et asiatique un dédommagement inespéré aux déconvenues relatives de la « Mittel-Europa » et de la ligne Bagdad-Hambourg. Ils démontrent, d’autre part, outre le péril mortel qui menace la Russie, le devoir qu’impose aux Alliés la nécessité de protéger la malheureuse signataire des traités de Brest-Litovsk et de se protéger eux-mêmes