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de la monnaie, douze ou quinze milliards de budget après la guerre ne seront pas pour la France un poids plus lourd que six milliards ne l’étaient auparavant, l’ancien riche, qui peut-être n’est plus qu’un bourgeois aisé, consulte son porte-monnaie ou vérifie son portefeuille pour savoir si vraiment le chiffre nominal de son capital ou de ses revenus a augmenté de 150 pour 100.

Rien de pareil n’est constaté par le possesseur de rentes sur l’Elut, d’obligations de chemins de fer et généralement de valeurs mobilières à revenu fixe, par le propriétaire de fermes ou de maisons louées à long bail, par le fonctionnaire des administrations publiques ou privées que « l’indemnité de vie chère » gratifie d’un supplément de 10 ou 20 pour 100. Tous ceux-là pensent qu’on se moque d’eux. Il n’est pas ici question des victimes directes de la guerre, habitants ruinés des régions envahies ou simplement titulaires de créances irrecouvrables sur des locataires, des débiteurs, des emprunteurs mobilisés, insolvables ou récalcitrants. Je ne parle pas non plus des familles plongées dans la misère par le chômage d’un travail lucratif ou par la mort de leur chef, depuis celle de l’artiste, du médecin, du professeur, jusqu’à celle du garçon de café qui gagnait 18 francs par jour et dont les six enfants se partagent maintenant une pension de 600 francs par an. Il se trouve dans notre capitale nombre d’anciens occupants d’appartements de 1 500 francs réfugiés aujourd’hui dans un logis de 300 et, sur toute la surface de la France, à tous les degrés de l’échelle, à côté des nouveaux riches, les nouveaux pauvres se comptent par milliers, et la baisse du pouvoir de l’argent, qui atténue l’aisance de ceux-là, aggrave la détresse de ceux-ci.

Mais ce que nous envisageons, c’est la répercussion en quelque sorte mécanique des prix, le jeu normal des budgets bourgeois qui n’ont ni gagné, ni perdu par la guerre. Par ce seul fait que leur chiffre n’a pas varié, ils ne correspondent plus au même train de vie ; la destinée de leurs possesseurs sera d’ailleurs très différente, suivant la nature de leur fortune.

Les propriétaires de biens ruraux, exploités en métayage ou affermés, bénéficieront, les premiers très vite, les seconds plus lentement, lors du renouvellement graduel de leurs baux,