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trouvent leur avantage plus modeste ; il y a les dupes : le chevalier de Sévigné est l’une d’elles. La Rochefoucauld dit que Retz était « faux dans la plupart de ses qualités : » c’est qu’il avait l’apparence de ces qualités ; et il savait « donner un beau jour à ses défauts. » Sévigné n’a pas résisté aux séduisants défauts et aux trompeuses qualités de ce très grand homme de rien. La France était bouleversée par les coquins, en l’absence d’un maître. A de telles époques, les fins ne se voient pas : les causes mènent tout. Les causes se réunissaient en une, et qui était le mécontentement. Le mécontentement n’est pas un programme : le mécontentement faisait tout.

Le coadjuteur fut nommé cardinal le 19 février 1652 ; il en reçut la nouvelle le dernier jour du mois. Sévigné, le lendemain, écrit à la duchesse de Savoie[1] : « J’en ai une joie très grande, sachant que cela l’attachera davantage dans le service du roi… » Sévigné, lui, tout frondeur qu’il est, ne badine pas avec le service du roi : sa fronde même, il la croit et la veut royaliste ; mais il n’a pas manqué de s’apercevoir que Retz était moins ferme a cet égard et subissait l’entrainement des factions. Il esquisse le projet d’une politique : cardinal, Retz n’a plus besoin de Mazarin, de sorte que ses ennemis ne l’accuseront plus de mazarinisme : « Il n’en est pas entaché. Au contraire, il servira Monsieur dans le dessein de chasser ledit cardinal Mazarin ; mais il servira la cour très puissamment contre monsieur le prince… » Retz servira la cour : il la servira contre elle-même et, malgré elle, contre toute folie. Le 23 août, Sévigné mande à la duchesse de Savoie : « Les princes sont tout à fait résolus de déposer les armes et de consentir à la paix ; nous verrons si la cour agira comme il faut : ce n’est pas sans sujet que j’appréhende sa mauvaise conduite. » Mlle de La Vergne est fille d’honneur de la reine ; le chevalier de Sévigné, son beau-père, attribue à la reine tout le malheur du royaume. Il la soupçonne d’entretenir en sous-main le désordre, afin de rappeler Mazarin. Le 6 septembre, il y revient : « La reine, au lieu de suivre le conseil des véritables serviteurs de Sa Majesté, prend tout le contre-pied et veut que les brouilleries continuent, afin de faire croire que ce n’était pas le cardinal Mazarin qui était cause des désordres de l’État. » C’est Mazarin,

  1. Correspondance du chevalier de Sévigné et de Christine de France, publiée par Jean Lemoine et Frédéric Saulnier, Paris 1911.