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peu mêlé, beau livre cependant. Il est facile d’y relever des Revues. Les ouvrages de science ne sont-ils pas ceux qui datent le plus ? L’œuvre de science est un essai de l’imagination : comme, en outre, elle a des prétentions à la vérité, c’est de l’imagination qui n’est pas libre et doit risquer le péril du contrôle. Mais enfin, M. Ménage a inventé, ou formulé de très bonne heure, maintes lois de phonétique, dont quelques-unes ont assez bien l’air de suffire à l’explication de plusieurs phénomènes. Il a tenu compte des influences populaires. Il a connu, avec plus de justesse que ses contemporains, les écrivains et le vocabulaire du moyen âge et de la Renaissance. Il a fait preuve d’une intelligence limpide, souvent trop ingénieuse, et d’une érudition surprenante. Les Origines de la langue française lui mériteraient aujourd’hui encore une large renommée, si les Français n’avaient accoutumé de mépriser les débuts français de l’érudition. Il est vrai aussi que M. Ménage a des torts. Il aimait l’érudition, mais il la trompait. Il avait la manie d’être poète. Alors, il méprisait l’érudition ; puis il retournait à elle et consentait que sa poésie n’était que badinage. Il hésita sans cesse entre les deux futilités, la sérieuse et la plaisante. Deux ans après avoir donné les Origines, il prélude à ses fantaisies par le recueil des Miscellanea : une églogue où il est Ménalque, une « Rechute amoureuse » où il tente d’être élégiaque, une farce relative à un pédant ridicule, et des galanteries pour les dames. Cependant, il est abbé.

Il ne l’est pas énormément. Fils de M. Guillaume Ménage, écuyer, sieur de la Monnerie, avocat du roi au siège présidial d’Angers et, dit le fils pieux, l’oracle non seulement de sa province, mais des provinces voisines, il a débuté comme avocat lui-même, à dix-neuf ans. Amené à Paris par M. Loyauté, ami de son père et avocat au Parlement, il eut pour maître de droit M. Sengebère, lequel, voulant répudier une infidèle, lui confia sa juste cause. Gilles donnant alors des espérances, M. Ménage le père se démit en sa faveur de la charge qu’il avait d’avocat du roi. Mais Gilles refusa de retourner à Angers et, plutôt que de quitter Paris, se brouilla net avec son père. Il fut conséquemment privé de ressources et devint abbé en vue d’obtenir des bénéfices : il obtint le doyenné de Saint-Pierre d’Angers et ne quitta point Paris. Sa vocation religieuse est un établissement. Toutefois M. Ménage