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Son humeur railleuse lui vaut tant de renommée qu’on lui attribue quantité de facéties poétiques, bonnes ou méchantes. Il s’en plaint, et il le tolère : il accepte le tout de la gloire, les embarras et les profits. Il a de la simplicité. Souvent, il en a trop : le badinage qu’il fait sur la disgrâce de sa tournure est pénible. Mais il le relève aussi de fierté : alors, il a de la gentillesse. Ce qu’on aime le mieux en lui, c’est le zèle avec lequel il réagit contre la littérature frelatée, contre l’affectation, la préciosité, l’hypocrisie du cœur et de l’esprit. Les « pousseurs de beaux sentiments » l’exaspèrent. C’est à cause d’eux que, vers le temps où nous le rencontrons, il a formé le plus extra vagant projet qui put venir à un tel infirme. Il s’est mis pour mille écus dans la nouvelle compagnie des Indes, qui va fonder une colonie en Amérique sur les bords de l’Orillane et de l’Orénoque. Il a résolu de partir avec les colons et d’être un colon. Là-bas, il croit qu’il va trouver un Eldorado, où il ne redoutera ni « faux béats, » ni « filoux de dévotion, » ni l’hiver qui l’assassine et fluxions qui l’estropient. Ce qu’il fuit, en outre, ainsi que d’autres poètes et gens de lettres, c’est « la guerre qui le fait mourir de faim, » la guerre civile, la Fronde. Il ne partira pas. Sans doute s’est-il aperçu de son imprudence. Puis, il a senti que la tranquillité revenait dans le royaume. Enfin, ce qui le retient, c’est l’amour : un amour bizarre, absurde, où il y a du libertinage et de la bonté. Il épousera dans quelques mois, lui quadragénaire et deux années en plus, impotent, presque monstrueux, une fille de seize ans, belle comme le jour au matin, malheureuse dès sa naissance et qui l’agrée au titre d’une commutation de peine, Francine d’Aubigné… Il s’adresse à Mme de Sévigné, afin qu’elle lui vaille la faveur de sa « grande duchesse, » Mme d’Aiguillon. Et il baise humblement les mains à Mlle de La Vergne, « toute lumineuse, toute précieuse, toute (dit-il), etc… » Plus tard, après la mort de ce pauvre garçon, Mme de La Fayette remerciera Ménage de lui envoyer les Dernières Œuvres du « petit Scarron. » Voilà tout. Et l’a-t-elle apprécié ? Du moins, elle n’a guère aimé Mme Scarron, pas du tout Mme de Maintenon.

Les beaux esprits et les beaux hommes qui fréquentaient rue de Vaugirard, nous ne les connaissons pas tous. Mais voici deux personnes avec qui Mlle de La Vergne se lie intimement, Mme de Sévigné la veuve et M. l’abbé Gilles Ménage.