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province d’Anjou, dont il était gouverneur, portait en exergue ces mots : Nulli nisi vocati. C’est une devise à la fois peu accueillante et amicale, socratique, mais avec de la hauteur.

Ainsi, par sa marraine et son parrain, la petite de La Vergne se trouve, en quelque façon, liée à la maison de Richelieu, liée au pouvoir. Nous verrons ce qu’elle deviendra et comment elle profitera de ces grandeurs tutélaires, ou bien les écartera : ses destinées se préparent, et l’on dirait qu’il ne fût pas question d’elle ; ce sont pourtant ses futures initiatives que déterminent de loin les hasards.

Dans le même temps et l’année même qu’elle a trois ans et fait le louf), il y a, mais à Paris et à la cour, une jeune fille de dix-neuf ans à peine et qui endure de singuliers tracas. Elle s’appelle Mlle de La Fayette[1]. Elle a été élevée par une mère pieuse et bonne. A quatorze ans, vers 1632, elle est devenue fille d’honneur de la reine. Et puis, peu à peu, non par un élan soudain, mais avec une lenteur pénétrante, elle a séduit le cœur, l’imagination, la confiance du Roi, le mélancolique, rêveur et inquiet Louis XIII, sans le vouloir et sans qu’alors la malice de ses ennemis ou maintenant l’autre malice des chercheurs et curieux puisse découvrir dans son aventure aucune habileté que de parfaite innocence. Le Roi aima son amitié, l’aima timidement et lui accorda une sorte de ferveur jalouse et dangereuse. Il renonça pour elle au sentiment que lui avait inspiré Mlle de Hautefort, très pure aussi, mais plus hardie. Et Mlle de Hautefort était blonde, Mlle de La Fayette était brune. Le Roi causait longuement avec elle, à condition qu’ils ne fussent pas seuls, car il était pusillanime et scrupuleux, sévère à lui-même. À ce moment, le cardinal avait de la difficulté à se maintenir : les partis de la cour lui multipliaient les tourments. Il arriva que Mlle de La Fayette fut réclamée par les ennemis du cardinal. Trois de ses parents, deux oncles, dont l’un évêque de Limoges et aumônier de la Reine, et une tante, Mme de Sennecé, tâchaient de l’endoctriner. Il est malaisé de dire jusqu’où elle entra dans un complot qui, d’ailleurs, paraît assez vague. Mais elle adopta sans doute, ainsi qu’une partie de la cour, l’idée que le cardinal était mauvais au Roi et à la Reine,

  1. Au sujet de Mlle de La Fayette : Archives nationales, LL. 1717 et 1718 ; Sainte-Geneviève, manuscrit 2569 ; et divers documents manuscrits conservés au premier monastère de la Visitation de Paris.