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armes. Depuis le 21, l’ennemi avait pu, en dépit de résistances tenaces, obtenir des succès tels et faire de tels progrès que la victoire semblait devoir couronner aussitôt un prodigieux effort. Lorsque, dans les jours des 22, 23, 24 et 25, on avait vu les Allemands creuser dans les armées britanniques d’abord, puis entre celles-ci et l’armée française accourue à sa rescousse, une poche, et bientôt des trous menaçants, on était autorisé à croire sinon la partie perdue, du moins perdue la bataille d’entre Somme et Oise : l’ennemi qui, de toute part, au Sud, à l’Est, au Nord-Est, se frayait des voies diverses dans les directions de Compiègne, de Clermont, d’Amiens, paraissait devoir balayer, avec les troupes de la 5e armée britannique déconcertées, les quelques divisions françaises accourues à leur secours.

Lorsque Noyon était occupé, Roye enlevé, Lassigny emporté, Montdidier à son tour livré, lorsque, de Saint-Quentin et de la Fère, le front allemand était en quelques jours porté vers l’Ouest jusqu’à Péronne, Ham et Noyon, jusqu’à Bray, Chaulnes, Roye et Lassigny, jusqu’à Rosières et Montdidier, lorsque, à trois reprises, des trous s’étaient creusés où des corps de cavalerie ennemis se pouvaient hardiment jeter, lorsque les Français cherchaient, dans l’obscurité coupée d’éclairs d’une bataille chaotique, les Alliés qu’ils venaient appuyer et ne rencontraient que des ennemis se ruant à l’assaut, on pouvait, sans pessimisme exagéré, conclure que, sinon immédiatement Paris, du moins le Nord de l’Ile-de-France était livré, et perdue sinon notre liaison avec l’Angleterre, du moins cette ville d’Amiens où elle était principalement assurée.

Deux armées françaises étaient survenues qui, l’une entre l’Oise et la Somme, l’autre sur les rives de l’Avre, avaient opposé à l’ennemi une digue de poitrines, — une digue d’âmes. Car tout d’abord il avait fallu que la valeur suppléât à la force matérielle : elle y avait suppléé. Ne reculant plus que pied à pied après le 23, s’il s’agissait d’Humbert, après le 25, s’il s’agissait de Debeney, des armées à peine fortes de quelques divisions, en partie démunies et engagées à la hâte, avaient, en attendant qu’elles l’arrêtassent, fatigué à ce point l’ennemi qu’il avait dû tout d’abord ralentir sa marche, et, trébuchant dans ses cadavres, chercher à tâtons plus à l’Ouest, plus au Nord, le point où il ne nous rencontrerait pas. Et du jour où, au Piémont, les troupes d’Humbert renforcées et, du Montchel