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un résultat semblait acquis : le général Pellé, qui jusque-là n’avait pu répondre que de retarder le flot, se disait assuré de l’arrêter net sur ses nouvelles positions ; sans doute l’ennemi essaierait-il de briser cette barrière encore ; refoulé, il refluerait plus à l’Ouest, tenterait de se jeter dans la trouée de Lassigny-Montdidier ; s’il y était déçu, ce serait vers Amiens qu’il se tournerait. Mais l’Ile-de-France ne reverrait pas l’Allemand. Le monde avait les yeux fixés sur ce coin de France.


XIII. — LE 26 MARS. DEVANT « LE CŒUR DE LA FRANCE »

Le général Pellé avait fermé le verrou : il entendait bien le tenir fermé. «… Il faut tenir coûte que coûte sur les positions actuelles, » écrivait-il dès l’aube à ses lieutenants. « L’honneur de chaque chef militaire y est engagé » et, transmettant à ses troupes le fameux ordre d’Humbert. : « L’honneur du 5e Corps est engagé. Le Général commandant le corps d’armée compte que chacun fera son devoir. »

Point de doute que les Allemands n’assaillent sans tarder le dernier rempart. Pellé fait occuper par Gamelin le mont de Porquericourt un instant laissé sans défense. Des cavaliers anglais l’y aident ; séparées de leurs corps, des divisions britanniques se mettaient spontanément à la disposition des chefs français ; le général Pittmann, entre autres, amenait ainsi à Gamelin sa brigade canadienne qui, lancée dans les bois de la Réserve et des Essarts, rétablissait la liaison rompue avec les défenseurs du massif de Thiescourt à l’Ouest, la 10e division ; la hauteur du Moulin Ruiné est occupée par celle-ci. Le rempart est garni.

L’ennemi essaya de s’y insinuer, puis de l’assaillir. Il parvint à y prendre pied ; la montagne de Porquericourt, le Mont Renaud se défendirent : de vigoureuses contre-attaques rejetèrent, dans cette journée du 26, en mauvais arroi, les assaillants. La 6e armée, — à droite, — envoyait spontanément aux défenseurs les escadrons du colonel Vieillard : c’est qu’on commençait à manquer de réserves. La 10e division, à bout de forces, avait dû céder le massif de Lagny et se replier. Ce n’était pas sans une âpre résistance : on avait vu le colonel Peyrotte, du 46e, saisir un fusil, se jeter au milieu de ses hommes et se battre comme un troupier. Mais derrière cette avancée, le massif