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l’humanité consciente vers des destinées meilleures par l’accumulation et la synthèse opportune des expériences de cette humanité sur les lois de la nature et sur les concessions réciproques qui seules permettent la vie en commun à des individus, impérialistes par nature. » S’il y a peut-être un peu trop de choses, et un peu trop accumulées, dans ces deux phrases, le principal en est excellent : nécessité de soumettre à l’expérience et à ses leçons les velléités de l’impulsion mystique.

L’émancipation périlleuse du mysticisme impérialiste, à notre époque, M. Seillière la considère comme la suite du romantisme, lequel serait la suite du jacobinisme, lequel serait la suite de Rousseau, lequel serait la suite de Fénelon, lequel serait la suite de Mme Guyon. Je dis la suite : il me paraît, je l’avoue, hardi d’aller plus loin, jusqu’à imaginer que cette suite chronologique soit une dérivation véritable. M. Seillière a moins de timidité : le jacobinisme, pour lui, vient de Rousseau ; et Rousseau, de Fénelon. Par les intermédiaires qu’il a cités, les « romantiques » de notre temps, — Karl Marx, Tolstoï et, sauf respect, les pangermanistes, — viennent de l’évêque de Cambrai. Ce n’est pas gai ! mais il est plus gai d’apprendre que, par cet évêque, ils viennent de l’absurde Mme Guyon. Quelle situation faite à cette absurde femme !

Au surplus, ce ne sont pas les meilleures idées qui ont ici-bas la plus belle fortune ou la plus ample, ainsi que l’histoire en témoigne’ assez tristement.

Mme Guyon, Fénelon, Rousseau, les Jacobins, les romantiques, les socialistes, les tolstoïens, les pangermanistes… M. Seillière excelle à tracer ces grandes esquisses. Approchons-nous ; cherchons le détail. L’influence de Mme Guyon sur Fénelon n’est pas douteuse. L’influence de Fénelon sur Rousseau, quelle fut-elle, tout au juste ? M. Seillière a intitulé son plus récent volume Madame Guyon et Fénelon, précurseurs de J.-J. Rousseau ; et l’on s’attend que l’auteur nous montre cette influence de Fénelon sur Rousseau. Mais l’ouvrage est consacré tout uniment à la comtesse et à son directeur, à Bossuet par endroits et, en somme, à la querelle du quiétisme : Rousseau n’y paraît presque pas. Évidemment, M. Seillière, tout plein de son sujet, se fie au lecteur et l’entend s’écrier, lisant Fénelon : « Voilà Rousseau ! » Le lecteur, il me semble, n’est pas si prompt à conclure. Enfin, recueillons les petits faits, — c’est un plaisir ! — les petits faits que l’auteur nous donne en passant.

La métaphysique fénelonienne est exposée au mieux dans les